Jeu. Avr 25th, 2024

Par Judith Doré Morin

Une simple réflexion amenée en classe: pour ou contre voyager dans les pays où les droits humains ne sont pas respectés? L’exercice s’avère plus complexe qu’il ne le paraît. Alors que la 200e vigile pour Raif Badawi, le blogueur d’origine saoudienne, s’organise à l’Hôtel de ville de Sherbrooke, il y a lieu de questionner la relation entretenue avec ces nations où tous et toutes ne peuvent jouir pleinement de leur liberté.

Les droits humains selon l’ONU

Accéder à un travail dans des conditions équitables et satisfaisantes pour un salaire décent. Exprimer ses idées sans avoir à s’inquiéter des répercussions. Se marier dans le libre et plein consentement.  Obtenir l’égalité devant la loi, sans distinction telle que le sexe, l’opinion politique ou la couleur de la peau. Ces éléments figurent tous parmi les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en décembre 1948 par les États alors membres de l’Organisation des Nations Unies.

Cette charte universelle, qui prévaut encore aujourd’hui en matière de droits humains à l’international, prévoit également la prohibition de la torture et de l’esclavage. Sans avoir de véritable portée juridique, le document constitue tout de même une base solide aux organisations vouées à la protection des droits humains telles qu’Amnistie internationale. Fondée en 1961, l’association milite, notamment, pour la libération des prisonniers d’opinion, l’arrêt des crimes politiques ainsi que le respect des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

Les droits humains, une lutte constante ici et ailleurs

Chaque année, Amnistie internationale publie un rapport sur la situation des droits humains dans le monde. Dans l’édition 2017-2018, soit à l’aube du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le secrétaire général de l’organisation mentionne qu’« il est on ne peut plus clair que personne parmi nous ne peut considérer un seul de ses droits fondamentaux comme acquis. Ainsi, nous ne pouvons certainement pas tenir pour acquise […] la jouissance d’une sécurité sociale pour nos vieux jours ou en cas de handicap, la garantie de voir nos enfants grandir dans des villes dont l’air est propre et respirable, ou la possibilité, une fois nos études terminées, de trouver un emploi nous permettant d’obtenir un logement ».

Au Canada, les discriminations dirigées vers les membres des Premières nations demeurent d’actualité, notamment en ce qui concerne leurs droits aux ressources et à la terre. Aux États-Unis, les discriminations fondées sur le sexe, l’ethnie et l’orientation sexuelle se multiplient sous un gouvernement favorable à l’utilisation des armes, à la torture et à la peine de mort. À Cuba, les arrestations et les détentions arbitraires sont courantes alors que la censure s’étend sur Internet. En Espagne, des milliers de personnes ont été expulsées de force de leur logement et des agents de la force publique ont eu recours à une force excessive lors de manifestations pacifiques en Catalogne. En Russie, les personnes issues de minorités sexuelles forment la cible de discrimination, de torture, d’enlèvements et d’homicides de la part des autorités locales.

Raif Badawi, l’Estrie ne l’oublie pas

Voilà six ans que la figure désormais emblématique de la lutte pour la liberté d’expression, Raif Badawi, a été emprisonnée. Selon la peine imposée par la Cour suprême de l’Arabie Saoudite, il lui reste quatre années à vivre en prison, auxquelles s’ajoutent dix années où il lui sera interdit de quitter ce pays.

La femme et les trois enfants du jeune blogueur ont quitté l’Arabie Saoudite suite à l’arrestation de celui-ci. Après avoir vécu en Égypte puis au Liban, c’est à Sherbrooke que la famille s’établit. Elle possède aujourd’hui la citoyenneté canadienne.

Création d’une bande dessinée documentaire illustrant l’histoire du jeune homme saoudien. Remise d’un doctorat honorifique pour son engagement envers les droits de la personne, la tolérance et l’esprit critique. Organisation de vigiles à l’Hôtel de ville de Sherbrooke pour souligner l’appui de la population sherbrookoise envers sa cause. Le récit de Raif Badawi, dont le droit à la liberté d’expression a été bafoué, rassemble les gens d’ici et leur permet de réaliser l’importance du respect des droits humains dans la société.  

Voyager ou ne pas voyager, telle est la question

Pour les personnes ayant à coeur le respect des libertés des personnes, la réponse qui vient intuitivement à cette question peut être négative dans le cas des pays où les droits humains sont bafoués. Outre la crainte pour sa propre sécurité, comme ce peut être le cas dans les nations où les conflits armés sont omniprésents, choisir de visiter un pays où la population ne dispose pas des mêmes libertés que soi peut soulever des questions éthiques. Puisqu’à l’étranger, les dépenses sont inévitables, est-il juste de soutenir économiquement un pays dont les autorités agissent à l’encontre de ses propres valeurs? Est-il juste que les touristes reçoivent un meilleur traitement que les populations locales?

Dans le cas d’une action réalisée à l’échelle internationale, boycotter un pays peut permettre de faire pression sur les autorités locales afin qu’elles modifient leurs comportements.

Cependant, lorsqu’une personne choisit de ne pas entrer dans des pays où elle considère que les droits humains ne sont pas respectés, sur quels critères peut-elle baser ses choix? La nature de la violation? La fréquence? Le nombre? La durée? Et qu’en est-il de son propre pays, respecte-t-il l’ensemble des droits humains fondamentaux? Probablement pas.

Ouvrir ou fermer les frontières?

Pour d’autres individus, rajouter des frontières à celles déjà existantes ne constitue pas une solution durable aux problèmes de violation des droits humains. Favoriser les rencontres et les échanges interculturels, le tout de façon pacifique et respectueuse, forme une approche à privilégier pour ces individus. Le tourisme responsable, c’est possible, mais cela demande de se préparer adéquatement.

Voyager peut être une façon de rencontrer des personnes vivant dans ces pays où les droits humains sont bafoués, mais qui ne partagent pas les idées véhiculées par les autorités locales. Considérant que les médias préconisent les images catastrophes, il est adéquat de se rendre sur place et d’obtenir une autre vision du pays visé. Oui, il se peut que tout soit comme les images rapportées par les nouvelles. Il est toutefois également possible que ce ne soit qu’une fraction du territoire. Ainsi, il se peut que le voyage se révèle être en mesure d’empiéter sur les idées préconçues, souvent négatives, partagées dans les médias de masse.

Parfois, avec le temps et la répétition, accueillir chez soi des personnes issues d’autres cultures permet de découvrir et d’adopter des comportements plus respectueux des droits humains. Le but n’est pas de voyager dans l’espoir d’imposer un modèle dans la communauté d’accueil. Il s’agit de faire preuve d’ouverture d’esprit, de respecter ses propres limites et d’engager la discussion.


Crédit Photo @ Cercles Nationaux de Réflexion sur la Jeunesse

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