Mar. Avr 16th, 2024

Par Gabriel Martin

Originaire de Sherbrooke, l’artiste interdisciplinaire Diane Trépanière est bien connue des milieux féministes. Auteure de l’ABCd’art de la rue des femmes (Éditions du remue-ménage, 2007), un ouvrage dans lequel les mots occupent une place centrale, elle perçoit sans contredit à quel point la langue est investie d’un fort pouvoir symbolique.

Alors que, de nos jours, de nombreuses femmes trans entreprennent de modifier leur nom d’usage, afin de l’aligner sur leur réelle identité de genre, Diane Trépanière est l’une des rares femmes cis à s’être aussi prévalue d’un droit similaire. En effet, depuis les années 1980, on la connaît sous le nom de Diane Trépanière, dans lequel elle a féminisé son patronyme de naissance, Trépanier. Je me suis donc récemment entretenu avec Mme Trépanière, afin d’en savoir un peu plus sur l’histoire de son changement de nom. Entretien avec une femme qui a osé imaginer le monde à l’envers.

Pour commencer, pourriez-vous nous indiquer à quel moment précis vous avez changé de nom et pourquoi?

« J’ai adopté le nom de Diane Trépanière en 1983, à la mi-trentaine, un peu après avoir déménagé à Montréal, où je me suis notamment impliquée dans la communauté lesbienne.

Au Québec, l’idée de changer de nom pour des raisons identitaires circulait depuis les années 1970. Par exemple, je me souviens que ma mère, qui portait le nom de mon père depuis son mariage, a repris son prénom de femme à l’occasion de l’Année internationale de la femme, proclamée en 1975 par les Nations Unies.

À l’époque, on se disait “Les choses ne pourraient-elles pas se passer autrement?” J’ai changé de nom dans cette optique. Vous savez, les mots ont une valeur très importante en société.

Au travers de la remise en question de mon nom, j’ai cherché comme féministe à me créer une identité plus personnelle qui remettait en question les stéréotypes sociaux. Le fait de choisir librement et consciemment le nom de Trépanière fait partie d’une démarche plus globale, telle une conquête identitaire. »

Comment avez-vous eu l’idée d’ainsi féminiser votre nom?

« Trépanière est arrivé très simplement et naturellement. J’ai d’abord envisagé de prendre le nom de naissance de ma mère, Laliberté, que je trouvais très féminin et évocateur.

Toutefois, je me suis alors souvenu de mes voyages de 1971 et 1972 avec une troupe musicale au Portugal, en Espagne, aux États-Unis et au Japon. Dans les pays latins et anglophones, tout le monde prononçait à peu près mon nom en Trépanière. Je trouvais ça beau, plus euphonique : à mes oreilles, Trépanier “freine”, alors que Trépanière est plus “doux” dans sa résonance.

Par ailleurs, Trépanière représentait un nom en partie créé, et je trouvais cette idée plus porteuse que de reprendre un nom comme Laliberté, qui avait été transmis sans modification à ma mère par la tradition patrilinéaire. »

Vous employez Trépanière à titre de nom d’artiste et dans la vie sociale. Ce nom, qui correspond manifestement à votre réelle identité profonde, est-il reconnu par vos proches et par les institutions?

« Majoritairement, oui. La plupart des gens respectent le fait que je me sens plus en harmonie sur le plan identitaire avec Trépanière. Et ça fait plus de trente ans maintenant que je porte ce nom et que j’y suis associée.

Dans la sphère personnelle, prenez par exemple ma sœur aînée, âgée de 82 ans : quand elle m’envoie un mot par la poste, elle s’adresse toujours à moi avec le nom de Trépanière. J’apprécie cette ouverture qui me fait immanquablement sourire.

Au contraire, dans des situations de nature officielle, on m’interpelle parfois encore avec le patronyme Trépanier. Toutefois, même si ce nom résonne moins bien à mon oreille, je passe outre. Intérieurement et dans les faits, je suis Trépanière et ce nom représente mieux qui je suis réellement. »

Saviez-vous que votre nom de famille entretient un lien étymologique lointain avec le mot latin stirps, qui signifie racine? On pourrait donc s’aventurer à dire que, symboliquement, votre nom évoque le féminisme radical, ce féminisme qui s’attaque à la racine des oppressions patriarcales!

« Comme quoi ce changement personnel bien intuitif et émotif a ses racines féministes bien ancrées dans l’inconscient collectif. Merci de me le confirmer! »


Crédit photo © Marie Claire

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