Mar. Avr 16th, 2024

Par Gabriel Martin

Selon une croyance bien répandue dans notre société, le français québécois serait un « vieux français », en cela qu’il correspondrait à maints égards un état ancien du français hexagonal (de France). Comme la plupart des lieux communs, cette croyance gagne à être nuancée.

On le sait, certains mots usuels au Québec (« abrier », « blé d’Inde », « calorifère ») sont des conservatismes — bien qu’ils soient maintenus dans notre variété de français, ces emplois ne sont plus ou pratiquement plus attestés en France. Cette réalité est balancée par une contrepartie cependant méconnue : l’usage de notre mère patrie comporte aussi son lot de mots anciens, aujourd’hui disparus ou rares en terre d’Amérique.

Le nom féminin « buvette » illustre la situation de manière frappante. Toujours utilisé en France, « buvette » est aujourd’hui pratiquement sorti de l’usage québécois général, où il est rarement employé par le commun des mortels. Ainsi, à moins de rechercher un effet de style particulier, les Québécois et Québécoises parlent plus volontiers des « bars de Montréal » et des « débits de boissons de Montréal » que des « buvettes de Montréal », cette dernière expression ayant cessé d’apparaitre dans les journaux canadiens-français à partir des années 1930. Dans la même veine, le nom de « buvette parlementaire » n’évoque plus le bistro du Parlement de Québec comme il le faisait autrefois; tout au plus, quelques francophiles y reconnaitront le nom d’une institution du palais Bourbon à Paris.

Le cas de « buvette » n’est pas unique. Un coup d’œil dans des dictionnaires européens comme le Robert permet de relever d’autres mots encore employés en France qui sont disparus au Québec ou qui tendent à disparaitre. Nommons comme exemples « asbestose », « blue-jean », « cidrier », « diététicien », « eskimo », « ferry-boat », que l’on remplace aujourd’hui presque systématiquement par « amiantose », « jeans bleus », « cidricole », « diététiste », « inuit » et « traversier » dans notre coin de pays. Là où la langue de France n’a pas changé, l’usage québécois a donc parfois évolué, souvent infléchi par des pressions normatives.

Alors, qui parle le vieux français? Les locuteurs et locutrices du français québécois, ou bien ceux et celles du français hexagonal? En fait, d’un bord et de l’autre de l’Atlantique, on parle un français contemporain. Comme le dit une métaphore devenue classique, les français du Québec et de la France représentent simplement deux branches d’un même tronc commun. Ces deux branches ont poussé en parallèle et non pas l’une après l’autre. L’une d’elles a été marcottée — plantée en sol nouveau et temporairement isolée de sa matrice — pour devenir le français du Québec. L’autre a été élaguée de sa cime royale; il s’agit du français de France, grandement transformé par la révolution du 18e siècle.

À notre époque, le français du Québec et celui de France ressemblent donc bien plus à des pousses vigoureuses qu’à de vieilles souches couvertes de mousse. Lorsqu’un de ces français se départit de quelques mots, il ne s’affaiblit pas pour autant, et son homologue ne devient pas automatiquement archaïque. En fait, au 21e siècle, le français québécois et le français hexagonal vivent comme des entités distinctes, qui s’influencent mutuellement, sans pour autant dépendre l’une de l’autre.


Crédit Photo ©  Brève de cours

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