Ven. Mar 29th, 2024

Par Catherine Foisy

Les pieds et les doigts rougis par le froid, le foulard plus long que le corps, j’entre dans ce petit café qui est depuis plusieurs mois mon préféré. Les propriétaires, un jeune couple fort attachant, et le petit endroit paradisiaque me rappellent étrangement la chaleur des cafés de Montréal. Mais si l’offre de produits est alléchante, le service l’est encore plus.

L’heure de naître

C’est après un été laborieux où Sandra et Philippe ont déployé toutes leurs énergies dans le but de redonner de leur savoir-faire à la communauté sherbrookoise qu’ils ont finalement ouvert les portes au premier client le 5 septembre dernier. N’était-ce pas audacieux d’ouvrir un café entre deux déjà très aimés de Sherbrooke? « La jeunesse de Sherbrooke nous a emmenés ici. Avec les jeux de société en tête, il fallait trouver une place jeune. Le conjoint de ma mère, natif de Magog, nous a parlé du local qui était à louer, et quand on l’a vu, on s’est dit que c’est ici qu’on s’en venait, on a osé », me répond Philippe, les yeux pétillants d’étoiles d’amour envers son commerce.

Alors que le local abritait autrefois l’ancien Sushi Express, il est impossible de reconnaître le restaurant japonais. Ensemble et avec l’aide de leur entourage, ils ont reconstruit ce qui restait de l’endroit qui les a précédés. Pointilleux sur les sonorités, le couple ne souhaitait pas donner un nom de commerce qui voulait déjà dire quelque chose. En jouant avec les mots café, thé et chaleureux, ils en sont venus à un mélange de sonorités : Cha-Tee’s. Conteur dans l’âme, Philippe me confie une anecdote. Un Portugais qui ne venait pas du coin s’était présenté avant la conviction qu’il débarquait dans une maison de thé. Ce qu’il faut savoir, c’est que « cha » signifie « thé » en portugais, et que bien entendu, « tea » veut dire thé chez les anglophones. Certes, le thé est au rendez-vous, mais l’inventaire compte beaucoup plus que cela : pour boire, on peut y gober des boissons chaudes, des rafraichissements, alors que pâtisseries, sandwichs, soupes et salades sont là pour se mettre sous notre dent.

Outre leurs produits faits maison avec amour, il est impossible d’entrer sans remarquer le sourire envoutant de ceux qui nous servent. Je me souviens d’ailleurs d’un dimanche de décembre où j’y avais passé la soirée à tenter de trouver solution à mon casse-tête d’étude. L’horloge indiquait 21 h 05, et moi qui croyais que la fermeture était prévue à 22 h, comme en semaine, me levai pour commander un deuxième ou troisième, je ne sais plus, latte. Sandra me répondit de son plus grand sourire en se mettant à l’œuvre. Alors que j’attendais, je lisais tout ce que je pouvais avoir sous la main, jusqu’aux heures d’ouverture indiquées sur la porte. Horreur, le dimanche, la fermeture était prévue à 21 h. Emprise de panique, parce que sachant profondément que la journée avait été longue pour celle-ci qui y était depuis l’ouverture, je me mise à balbutier. « Je le prendrai pour apporter, je suis tellement désolée, tellement désolée », répétais-je à maintes reprises. Sans panique, sur un ton plus calme que l’endroit qui était alors vide, Sandra me répondit « notre mission est d’offrir le meilleur service à nos clients, ne t’en fais pas ». Quelle gentille femme, m’étais-je alors dit.

Et cette valeur de mettre à l’avant le bonheur de leur clientèle est tout aussi présente chez leur employé, Catherine. En plus d’être une excellente barista, Catherine, artiste dans l’âme, s’occupe des dessins dans la vitrine qu’on peut apercevoir à même la rue.

L’essence du geek

S’il était question d’audace, on parlera plutôt aujourd’hui de différenciation. Ils débarquaient avec une offre différente de ce qu’il y avait aux alentours : les jeux de société. D’ailleurs, moi qui ne connais pas grand-chose en jeux de société, outre les classiques Scrabble et Monopoly, restai bouche bée en voyant leur impressionnante collection. Les favoris de la maison? Castle of Burgundy, Race for the Galaxy et Eclipse.

Bien que plusieurs s’y rendent pour se réchauffer le coeur, 10 % de leur clientèle, selon Philippe, s’y rendent pour jouer. C’est en discutant avec lui que je comprends que lui-même est un geek, un passionné des jeux de société recherchés et que c’est pour cette raison qu’il a souhaité transmettre sa passion à sa clientèle. Quatre dollars par personne, ou douze dollars par table, c’est peu cher pour passer une soirée dans un endroit aussi réconfortant que le Cha-Tee’s, jeux de société en guise d’animation.

Batman, la renaissance

Je ne peux m’empêcher de souligner l’handicap de mon interlocuteur, parce qu’on l’oublie facilement. Bien qu’il se plaise à inventer des scénarios aux curieux qui lui demanderont s’il est né ainsi, des histoires à vous faire lever le poil des bras, ce dernier est bel et bien apparu sur terre muni d’un seul bras de pleine longueur. D’ailleurs, c’est de cette façon que j’ai entendu parler de cet endroit, un ami m’avait dit « hey, as-tu vu le nouveau café qui a ouvert sur Frontenac, il y a un mec avec un seul bras qui est capable de faire de l’art dans ses cafés, c’est vraiment impressionnant! » Non pas que je ne lui faisais pas confiance, mais le désir d’en savoir plus m’a emmenée au Cha-Tee’s. Je confirme, sur le dessus de mon premier latte, Philippe avait fait un dessin. Mais outre le café, il sait faire plein de choses. Il est de ceux qu’on qualifie d’autodidactes. Les vidéos qu’il visionne pour apprendre s’additionnent, et ses capacités multidisciplinaires conséquemment, allant même jusqu’à construire sa maison lui-même, avec sa femme, et l’aide de son beau-père entrepreneur. Y a-t-il quelque chose qu’il a de la difficulté à faire? Ne sachant trop quoi répondre, il n’hésite pas à se retourner vers sa complice. Plier des chandails est ce qu’il trouve le plus difficile. Mais entre vous et moi, qui a de la facilité à les plier?

Notre entretien se termine sous cette phrase : « Je ne dis pas que je suis Batman, je dis simplement que nous n’avons jamais été aperçus au même endroit lui et moi ». Vous comprendrez qu’il est tout un personnage. À moi de vous dire : « Hey, avez-vous vu cet homme qui est capable de faire avec un seul bras ce que la plupart de nous ne peuvent faire avec deux bras? » Celui qui stipule que né comme ça il n’a aucun mérite a toute mon admiration. Réinventer les choses, c’est ce qu’il fait. Pour ma part, il a donné un sens à mon latte.


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One thought on “Le bistro Cha-Tee’s, l’âme indemne de torréfaction”

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