Mar. Avr 16th, 2024

Dans un numéro spécial sur le sexe, pourquoi ne pas parler du corps? Le sexe, qui est parfois synonyme de « genre », peut facilement être quelque chose qui, dans une perspective féministe, peut sembler contraindre, voire enfermer les femmes dans leur corps et dans les possibilités que celui-ci permet de « plus » que celui de l’homme. Or, pour Sylvia Federici, professeure de philosophie politique, militante féministe et marxiste, le corps de la femme est au cœur de ce que nous appelons couramment « la chasse aux sorcières ». Dans Caliban et la Sorcière, l’auteure avance l’idée que le pouvoir patriarcal et économique a eu besoin du corps des femmes pour « reproduire la force de travail ».

Par Félix Morin

Une des idées courantes de l’économie actuelle est de dire que le capitalisme est un système « naturel » et qu’il ne fait que répondre à la « nature humaine » que nous avons en commun. Pourtant, ces postulats sont mis à rude épreuve durant la lecture de Caliban et la Sorcière.

Ce livre au titre shakespearien nous amène à plonger au cœur du 13e et 14e siècle durant la crise du féodalisme. On y apprend, dans un vocabulaire utopiste, qu’un autre monde aurait été possible parce que durant cette crise profonde du système féodal, il y a eu une division marquée et profonde entre deux visions. Les gens appuyant la première vision, ceux de la contre-révolution, étaient tenant de ce qui est aujourd’hui à la base du système capitaliste. Ceux qui appuyaient la deuxième vision, les « communaux », étaient des défenseurs d’une égalité qui aujourd’hui nous semble sommaire, mais qui était profondément révolutionnaire pour l’époque. L’égalité qu’ils proposaient présentait une forme d’égalité entre les sexes qui, somme toute et dans une optique féministe, aurait été un bon départ. Or, les communaux ne sont pas sortis victorieux de cet affrontement.

La vision contre-révolutionnaire a pris le dessus et se sont les femmes qui en ont payé les frais. Selon l’auteure, le pouvoir patriarcal et capitaliste a eu besoin de prendre possession du corps des femmes… comme lieu de production! Eh oui, comme le capitalisme n’en était qu’à ses premiers balbutiements, il avait besoin de main-d’œuvre. Or, la seule « usine à bébé » de l’époque était le corps de la femme. Cependant, nombreuses ont été les femmes qui ont dit non à tout cela.

Alors, dans un lexique foucaldien, le pouvoir n’a pas eu d’autres choix que d’instaurer des mécanismes de contrôle des corps. Et ainsi est née l’idée de sorcière. Ce concept fourre-tout a permis à un capitalisme naissant de faire la chasse aux femmes hérétiques sous prétexte de la sorcellerie. La sorcière aurait alors été, selon Federici, la femme ne voulant pas plier l’échine face à un capitalisme naissant.

Une telle thèse est lourde de conséquences dans l’analyse féministe contemporaine parce qu’elle amène l’idée que les femmes auraient perdu des droits en quittant le féodalisme, ce qui est un contre-discours total à l’idée que nous avons de cette époque.

Si on enlève les deux premiers chapitres, très lourds à cause du vocabulaire marxiste, on découvre un livre merveilleusement intelligent et bien écrit. Il s’agit d’un des rares essais que j’ai lu avec la même fluidité qu’un roman. Le meilleur livre que j’ai lu depuis longtemps et dont je conseille la lecture à tous.

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Caliban et la Sorcière ; femmes, corps et accumulation primitive

Sylvia Federici

Éditions Entremonde

 

 

 

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