Lun. Mar 25th, 2024

Par Dorian Paterne Mouketou

Le scandale qui a récemment secoué le SAMU (Service d’aide médicale d’urgence) en France nous a rappelé que les services de santé ne sont pas à l’abri de dysfonctionnement. La négligence professionnelle et le manque d’empathie d’une agente de régulation de ce service ont mené à la mort d’une jeune maman de 22 ans qui avait appelé pour des douleurs au ventre. Au Québec, Charles-Antoine Barbeau-Meunier, étudiant en médecine, s’est penché sur la régression de l’empathie dans les services de santé. Le Collectif s’est entretenu avec lui.

L’empathie dans le service médical en régression

Charles-Antoine Barbeau-Meunier poursuit ses études en médecine. Les relations patient-médecin sont au cœur de ses préoccupations. Il travaille à démystifier le phénomène de l’empathie pour mieux combattre son effritement dans le milieu de la médecine et des sciences de la santé. Pour lui, l’empathie n’a jamais été aussi populaire, que ce soit dans les médias, la politique ou les domaines du soin. Toutefois, il y a beaucoup de confusion à ce sujet. « Par exemple, on ne réalise pas toujours qu’il y a plusieurs composantes à l’empathie, qu’au-delà du fait de se mettre à la place d’autrui, qui représente un effort mental, il y a aussi une dimension émotionnelle, un “parti pris” affectif avec autrui », souligne celui qui fait un double doctorat en médecine et en imagerie biomédicale.

« Ce malentendu est exemplaire dans le domaine du soin, où on fait valoir l’importance de comprendre le contexte du patient, donc de la manœuvre cognitive, alors que la dimension émotionnelle est occultée, voire même avilie », ajoute-t-il. C’est cette dimension qui intéresse Charles-Antoine et pour laquelle il participe à des conférences, afin de sensibiliser le milieu médical à cet enjeu émotionnel. Dès alors, on pourrait se questionner sur la compatibilité entre la dimension émotionnelle et la nécessité du professionnalisme de la part du corps médical. « Il n’est pas rare que l’on se fasse dire de faire attention de ne pas être “trop empathique”, pour ne pas compromettre la distance professionnelle, et pour éviter d’être excédé par nos émotions ».

Charles-Antoine souligne que les deux vont plutôt bien ensemble, tant pour le bien du corps médical que pour les personnes en soin. « Or, c’est précisément en ignorant la dimension émotionnelle du soin, en “luttant” contre ses émotions au lieu de travailler avec elles, qu’on risque l’épuisement professionnel, et ce qu’on appelle dans le domaine la “fatigue de compassion”. Utiliser ses émotions comme guide dans la pratique et la relation est un apprentissage qui doit être mis de l’avant. C’est d’ailleurs ce qu’on appelle souvent l’intelligence émotionnelle! »

Comment concilier l’empathie et la médecine?

Avant de poursuivre ses études en médecine, Charles-Antoine a complété une maîtrise en sociologie. Cela l’a amené à s’intéresser au phénomène de l’empathie. C’est ainsi qu’il se pose la question suivante : « l’empathie peut-elle changer le monde? » C’est avec cette perspective que le jeune étudiant dans les sciences de la santé veut concilier sociologie et médecine. « C’est une question de perspective, dit-il, mais je suis convaincu que la santé est un bien commun, c’est surtout l’œuvre d’une société. On fait référence à cette réalité lorsqu’on parle des “déterminants sociaux de la santé”. C’est le fait qu’il y ait, par exemple, 11 ans d’écart d’espérance de vie entre le quartier Hochelaga-Maisonneuve et l’arrondissement Saint-Laurent ». Plus que jamais, la médecine doit être au cœur d’une interdisciplinarité dans la perspective des soins. Ainsi, « ultimement, à leur propre manière, le sociologue comme le médecin souhaitent prendre soin de la société ». Le sociologue peut avoir un regard sur le système de santé et sur son modèle de gestion afin de trouver des lacunes. Et il peut proposer des avenues. Cette réalité, Charles-Antoine l’a bien cernée et il compte y contribuer à sa façon!

Pourquoi cette régression?

Comment expliquer le déclin de l’empathie chez les médecins? Est-ce dû à la nature même des tâches qu’ils ont à effectuer? Est-ce dû au milieu hospitalier lui-même, c’est-à-dire à l’ambiance du travail? Telles sont les questions que Le Collectif a posées à l’étudiant au doctorat en médecine et en imagerie biomédicale. Bien que la réponse à ces questions ne peut être absolue, Charles-Antoine semble avoir deux éléments de réponse dans l’analyse des mécanismes et des composantes de l’empathie. Le premier, c’est que « l’environnement et la culture médicale actuelle peuvent rendre l’empathie difficile à pratiquer ».  C’est ce qu’on appelle le « curriculum caché » dans la littérature médicale. En effet, « les curriculums s’efforcent de valoriser une approche humaine et centrée sur le patient, mais en contexte clinique, avec la logique managériale des soins, les contraintes de temps, le volume de patients, les cibles de performance et le manque de ressources humaines, le patient peut être recadré comme une tâche à gérer, un lit à libérer ».

Il faut donc compter sur l’efficacité du réseau de la santé pour répondre aux besoins d’une très grande partie de la population. Ainsi, le temps consacré à l’empathie est minime. C’est ce qui amène le deuxième élément qui rend l’empathie difficile : « c’est que l’empathie et le stress, ou pire encore la détresse, ne sont pas compatibles. Ce qui est de plus en plus reconnu, c’est que les processus cérébraux de la régulation émotionnelle interfèrent avec ceux de l’empathie ». Le milieu médical au Québec est très achalandé, tant pour les médecins que les membres du corps infirmier et les autres services de santé. « Ensuite, la charge émotionnelle dans le réseau de la santé est importante : en plus des besoins complexes des patients, de la course contre la montre et du manque de sommeil chronique, les professionnels sont exposés à beaucoup de souffrances et de détresse au quotidien », rappelle Charles-Antoine. Du coup, l’épuisement professionnel devient un enjeu réel dans nos services de santé.

L’importance de l’empathie

Selon Charles-Antoine, il y a peu de soignantes et de soignants outillés à prendre conscience de cette dimension. « En fait, certains témoignent carrément d’un tabou à aborder le côté émotionnel des soins, ou d’exposer sa propre vulnérabilité. En ignorant ou en refoulant la composante émotionnelle du rapport aux soins, on lutte contre soi-même, et même si cette lutte semble triviale et passe inaperçue, elle persiste et nous rattrape ». La clé de cette prise de conscience se trouverait dans la culture médicale. « Il faut donc implémenter une culture médicale propice à l’écoute de soi, au respect de ses limites, et à la solidarité… mais c’est un énorme défi, qui nécessite bien davantage qu’un simple ajout à la formation des professionnels! Cela implique de revoir l’organisation du système de santé. Il ne suffit pas de renforcer l’empathie, il faut d’abord réduire ce qui empêche son expression », soutient Charles-Antoine.

L’empathie est d’autant plus gratifiante pour le corps médical que pour les patientes et patients. « Une attitude empathique améliore l’alliance thérapeutique, encourage l’observance des traitements, diminue le nombre de plaintes et pourrait même améliorer la réponse immunitaire du patient et la composante placebo d’un traitement! ». Il faut de ce fait se rappeler qu’une « relation empathique améliore également la satisfaction au travail du professionnel de la santé, ce qui est un des grands facteurs protecteurs de l’épuisement professionnel ».

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