Jeu. Avr 25th, 2024

Par Josiane Demers 

Difficile, pour la majorité de la population canadienne, d’imaginer un monde où il est impossible d’exprimer des opinions librement. Non seulement sommes-nous libres de nos dires, mais nous tenons fréquemment ce droit pour acquis. Si cela nous était enlevé, aurions-nous l’audace et le courage de nous battre au nom de la liberté d’expression? Comme plusieurs athlètes olympiques, accepterions-nous de nous prononcer au risque d’être emprisonnés ou même de mourir pour nos idées?  

Ici, la liberté d’expression a le dos large. On la cite à tort et à travers à la minute ou quelqu’un mène des propos contraires aux nôtres. Le débat et l’écoute sont de moins en moins d’actualité et on oublie de fonder nos opinions sur des faits. Néanmoins, nous devons nous estimer heureux. Jamais nous ne devons réfléchir aux conséquences de nos paroles sur le plan de notre intégrité physique. Mis à part un lynchage public, aucune autorité ne viendra cogner à notre porte en nous accusant d’avoir trahi notre gouvernement (sauf dans le cas de menaces, évidemment).  

Au Canada, les athlètes rêvent de médailles et de performance. Ils travaillent fort et nous font vivre des moments hauts en couleur. Toutefois, pour des athlètes de pays où les droits et libertés sont pratiquement des idées farfelues, l’aspiration à une médaille aux Jeux olympiques (JO) n’est pas le seul objectif. En effet, comme l’explique Lise Denis dans un article du Devoir, plusieurs sportifs profitent de ces évènements internationaux pour fuir ou pour demander l’asile, et ce, depuis les Jeux de Londres en 1948, alors qu’une entraineuse de la Tchécoslovaquie avait refusé de rentrer dans son pays.  

Petite histoire de défection 

Évidemment, c’est lors de la guerre froide que sont survenues plusieurs défections alors que les athlètes habitant sur les territoires communistes du Bloc est profitaient des JO pour passer du côté ouest. Plusieurs n’ont même pas fait de demandes d’asile et ont tout simplement disparu.  

Plus récemment, en janvier 2020, Kimia Alizadeh, seule médaillée féminine de l’Iran en 2016 à Rio, a annoncé qu’elle quittait son pays, citant le fait que les athlètes iraniennes n’existaient qu’à des fins politiques et que le gouvernement se servait de leurs victoires pour alimenter sa propagande de répression.  

Cette année, c’est l’histoire de la sprinteuse de Biélorussie, Krystsina Tsimanouskaya, qui a fait les manchettes à travers le monde alors qu’elle a demandé de l’aide au Comité international olympique (CIO) en direct de l’aéroport, où sa délégation l’avait contrainte de se rendre. Son pays a expliqué son retrait des compétitions citant une décision médicale. En réalité, l’athlète avait critiqué ses entraineurs alors qu’ils voulaient la forcer à courir le 4x400m. La sportive devait, à la base, seulement participer au 100 m et au 200 m.  

En Biélorussie, l’État avait déjà commencé son cirque médiatique en citant les problèmes de santé mentale de l’athlète. Il était alors clair qu’elle se ferait emprisonner ou interner dans un institut psychiatrique. Le CIO a répondu à la demande de l’athlète en s’assurant de sa sécurité. Son mari s’est ensuite réfugié en Ukraine et madame Tsimanouskaya a été accueillie par voie de visa humanitaire en Pologne, visa également accordé à son conjoint.  

Pensez-y, s’entrainer toute une vie pour représenter un pays qu’on a l’intention de fuir. Certes, cela n’est probablement pas le but premier des athlètes vivant dans des pays aux politiques répressives, mais certains n’attendent que cette occasion. Il ne faut pas oublier que souvent, ce genre de compétition représente la seule chance pour ces sportifs de voyager et de sortir de leur pays.  

Biélorussie 

Pour bien comprendre les fondements des craintes de Krystsina Tsimanouskaya, il faut se plonger dans le régime politique de son pays. Selon Perspective Monde, c’est en 1991, après le démantèlement de L’URSS, que la Biélorussie obtient son indépendance, mais conserve des liens serrés avec la Russie. Malgré des principes démocratiques élaborés sur papier, le pays est plongé dans une dictature depuis 1994 à la suite de l’élection d’Alexandre Loukachenko. À l’image de Vladimir Poutine, le chef d’État use de tactiques parfois malhonnêtes et douteuses afin de gagner chaque élection. Dans ce régime présidentiel où peu d’importance est accordée à la branche législative du gouvernement, la corruption et les irrégularités semblent évidentes.  

Chaque année, un consortium média mené par The Economist permet de déterminer, basé sur des critères rigoureux, l’indice de démocratie de chaque pays. Sur une échelle de 0 à 10, les États sont subdivisés en quatre. Un pointage inférieur à 4 indique un régime autoritaire. La Biélorussie a obtenu, en 2020, une note générale de 3,13. Il est à noter que les irrégularités politiques deviennent plus concrètes lorsqu’on observe un pointage de 0,92 pour le processus électoral. Finalement, le pays obtient 2,35 dans la catégorie des libertés civiles. En comparaison, on accorde une note de 9,15 comme note générale au Canada ainsi qu’un 10 pour les libertés civiles.  

En observant ces faits, il est évident que l’athlète sprinteuse a pris la bonne décision en refusant de rentrer au pays. D’autant plus que le président du comité olympique biélorusse est le frère du président.  

Politique malgré eux 

Les JO se veulent inclusifs et démunis de toutes allégeances. Jusqu’à 3 semaines avant les jeux, le CIO avait interdit aux athlètes de faire des démonstrations politiques ou sociales avant de le permettre avant les compétitions, mais pas sur le podium. Toutefois, ces gestes font maintenant état de tradition aux JO.  

Pour les athlètes qui adoptent des causes sociales ou qui veulent défendre leurs droits, cette compétition internationale a trop de visibilité pour ne pas agir. C’est une chance inouïe. À travers l’histoire, des athlètes ont eu le courage de s’exprimer en parole ou par des gestes représentatifs. Rappelons-nous Jesse Owens qui a participé aux JO de Berlin en pleine Allemagne nazie en 1936, ou des célèbres poings en l’air de John Carlos et de Tommy Smith en 1968.  

Cette année, entre autres, les joueuses de soccer, de rugby et de hockey sur gazon, incluant les Canadiennes, ont posé le genou par terre en début de match afin de dénoncer le racisme. Évidemment, la plupart des athlètes qui se permettent ces gestes vivent dans des démocraties où les représailles sont rares et où la liberté d’expression existe. Certains n’ont pas cette chance.  

Certains ont besoin des Jeux olympiques pour sauver leur vie.  

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