Par Josiane Demers
Le Collectif présente régulièrement des portraits d’athlètes qui incarnent vraisemblablement des espoirs olympiques pour le Canada. Cependant, comme dans plusieurs autres médias, les sportifs paralympiques y sont sous-représentés. Pourtant, les efforts déployés à l’entrainement et la discipline nécessaire au succès sont comparables.
Le journal s’est donc entretenu avec Philippe Bédard, ancien athlète de tennis en fauteuil roulant et entrepreneur, afin de parler de son cheminement.
Le parcours
Philipe grandit à Bromont, près des montagnes. Très vite, son talent naturel pour le sport devient évident. Il alterne les compétitions de golf l’été et de ski alpin l’hiver. Après le cégep, il s’envole vers Whistler en Colombie–Britannique pour travailler et dévaler les pentes.
De retour au Québec à l’été 2002, à l’âge de 22 ans, il commence à ressentir des douleurs aux jambes jusqu’à une paralysie complète en novembre. Le diagnostic tombe. Il est atteint d’un lupus érythémateux, une maladie chronique auto-immune. Les cinq prochaines années s’avèrent difficiles alors qu’il cumule les hospitalisations. Il décide finalement de se remettre en forme et s’achète un vélo adapté afin de parcourir les pistes cyclables environnantes.
Le déclic
En 2009, Philippe déménage avec sa conjointe Caroline à L’Île-des-Sœurs. Lors d’une marche, le couple passe devant le Club de tennis local. C’est alors que Caroline lui suggère de s’informer sur la possibilité du tennis en fauteuil roulant.
« J’ai eu un essai au stade Uniprix. Ils m’ont prévu un training avec un entraineur national et j’ai tout de suite eu la piqure, je suis tombé en amour avec le sport », explique-t-il. L’entraineur remarque un certain talent chez lui. Il participe ensuite à son premier tournoi et Tennis Canada le recrute.
Pour être honnête, j’ai commencé à jouer au tennis pour me remettre en forme, pour éviter les nombreuses hospitalisations, mais le rêve est apparu très rapidement. J’ai réalisé que je pouvais aller aux jeux paralympiques avec ça. Donc, je me suis entrainé très fort pendant trois ans pour participer à mes premiers jeux à Londres en 2012. — Philippe Bédard
Les succès
Sa carrière s’échelonne sur dix ans alors qu’il participe à deux jeux paralympiques et deux jeux panaméricains où il remporte une médaille en tennis double en 2015. C’est sans compter les multiples coupes du monde qui l’amènent à voyager aux quatre coins du globe.
« Ça a été extraordinaire. Difficile, mais extraordinaire. J’ai fini ça en 2016 à Rio de Janeiro avec toute ma famille et Caroline. On s’est marié cet été-là. Ça couronnait le tout en beauté », soutient celui qui prend sa retraite juste après ces jeux.
Philippe souhaite alors éviter une opération à l’épaule nécessaire pour demeurer compétitif en tennis et espère passer plus de temps à la maison, avec sa femme et de ses proches.
Le financement
Le financement représente un défi de taille pour les athlètes amateurs. Ce l’est encore plus pour les para-athlètes. Il est évident que plus les médias parlent d’un sportif, plus il est susceptible d’être remarqué par des commanditaires. Malheureusement, les athlètes ayant un handicap sont presque absents de l’arène médiatique. Ils doivent alors user d’imagination et de débrouillardise pour subvenir à leurs besoins.
Certes, le gouvernement du Canada accorde des brevets (subventions), mais les montants sont nettement insuffisants. Par exemple, pour un brevet accordant un carding senior, 1500 $ par mois est accordé. Philippe Bédard explique que dans ses grosses saisons, il avait besoin d’environ 75 000 $ par année. Le fauteuil de tennis, à lui seul, vaut, 12 000 $.
Heureusement, Philippe a de l’expérience en évènementiel et met très tôt sur pied, avec l’aide d’un ami, une fondation à son nom, et organise une soirée–bénéfice annuelle dans l’objectif d’acquitter les frais reliés à son sport. Néanmoins, ce ne sont pas tous les athlètes qui sont à l’aise d’entreprendre de telles démarches et d’aller vers les gens.
Du chemin à faire
Jusqu’aux Jeux olympiques (JO) de Londres, la visibilité pour les jeux paralympiques va en s’améliorant. « À Londres, c’était grandiose, deux chaines nationales couvraient l’évènement 24 h sur 24. J’ai joué à guichet fermé devant 5000 personnes dans un match double contre les Anglais », se rappelle Philippe.
Cependant, à Rio, il y a moins de budget alors que la majorité de l’argent est dédiée aux JO. Toutefois, l’ancien joueur de tennis souligne avoir grandement apprécié ses deuxièmes jeux. Pour la suite, il espère que les réseaux de télévision couvrant les paralympiques engageront d’anciens athlètes à titre de commentateurs, un peu comme Jean-Luc Brassard et Joanie Rochette l’ont fait pour leur sport.
Pour augmenter la visibilité et favoriser l’obtention de commandites pour les para-athlètes, Philippe Bédard juge qu’il faudrait que les médias les invitent sur leurs plateaux. « Ils ont des histoires de courage et de résilience à raconter. Je pense que tout le monde doit entendre de telles histoires qui motivent. Ça peut leur donner le petit coup de pied au derrière supplémentaire pour aller faire leur course ou adopter une bonne hygiène de vie. »
Les fédérations jouent également un rôle dans cette quête de notoriété. Philippe donne en exemple Tennis Canada qui a récemment créé une série de publications sur les médias sociaux en parlant de leurs grands champions tels que Shapovalov ou Fernandez. Néanmoins, aucune publication ne mentionne Rob Shaw, un paralympien qui, en 2019, est devenu le premier Canadien à gagner l’or aux jeux panaméricains. C’est un non-sens.
Philippe, avec son ancien partenaire de jeux, proteste alors auprès de Tennis Canada afin qu’ils rectifient le tir. « Au début, je m’entrainais à côté des grands au stade Uniprix. Je faisais partie de Tennis Canada, comme eux, mais parfois, c’est comme si on n’existait pas », se désole celui qui a été 15 fois champion canadien. Cette problématique s’étend également aux autres fédérations sportives.
L’entrepreneuriat
Après sa retraite, Philippe fonde Moove, une entreprise montréalaise qui offre des fauteuils roulants de haute qualité. L’équipe voyage partout dans le monde afin de permettre l’accessibilité aux meilleurs produits et aux meilleures technologies qui existent dans le domaine. Encourager les gens ayant un handicap à adopter un mode de vie actif : voilà leur mission ! Comme le dit leur devise, where there’s a wheel, there’s a way !
Source photo : Fournie par Philippe Bédard
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