Mar. Mar 19th, 2024

Par Charles Harvey et Sophie Bégin 

Alors que le projet de loi C-45 demeure flou quant à la mise en marché, au marketing et à la publicité entourant le cannabis, un expert en publicité de l’Université de Sherbrooke met en garde contre la volonté des producteurs de vouloir montrer le produit sous son plus beau jour. 

La semaine dernière, un regroupement de producteurs de cannabis du Québec a présenté au gouvernement Trudeau son guide d’autodétermination, à l’intérieur duquel ils ont détaillé la tangente que prendra la promotion de leurs produits.

Trouver le bon créneau publicitaire  

Le vice-président aux communications corporatives et gouvernementales chez Hydropothecary, l’un des deux producteurs autorisés de marijuana au Québec, Pierre Killeen, avance, dans une entrevue qu’il a accordée à La Presse, que le marketing de ses produits n’est pas pensé dans l’optique de vanter les effets psychotropes, mais bien dans le but de faire connaitre les différentes marques : « C’est nos marques que nous voulons promouvoir : pas le prix ni l’effet. »

Une affirmation que met en doute un professeur du Département des lettres et communications de l’Université de Sherbrooke et chercheur en publicité, rappelant que les deux objectifs visés par le marketing d’un produit ou d’un bien sont de le faire connaitre et de développer son image.

« Les producteurs auront un important travail de démystification à effectuer. Qu’est-ce que le cannabis? Qu’est-ce que ce n’est pas? Quels sont les effets attendus et pourquoi devrions-nous en avoir peur ou pas? », explique Dany Baillargeon dans un entretien téléphonique qu’il nous a accordé vendredi matin.

Contrairement au tabac, qui avait été publicisé très rapidement dès sa commercialisation, soit bien avant que la population ne découvre ses effets néfastes sur la santé, les effets du cannabis sont affichés au grand jour. « Aujourd’hui, les gens connaissent les dangers du cannabis. La population semble donc avoir un avis défavorable en ce qui a trait à sa promotion », poursuit monsieur Baillargeon.

Le spécialiste en publicité ne croit pas que le gouvernement ira jusqu’à autoriser la publicité de la marijuana. « Lorsque le gouvernement a découvert que le tabac était nocif pour la santé, il a tout de suite fait pression sur les lobbyistes pour changer les pratiques de marketing à la télé et à la radio. Aujourd’hui, il sait d’emblée que le cannabis est un produit dangereux. Ce serait donc étonnant qu’il en encourage la promotion dans les médias », suppose monsieur Baillargeon.

Combattre le marché noir 

Les producteurs de marijuana souhaiteraient présenter des emballages de produits visuellement attrayants, sans toutefois attirer une clientèle qui n’est pas encore en âge légal de consommer. « Les lignes directrices que nous avons adoptées sont vraiment une initiative de protection du consommateur », prévient le vice-président de Hydropothecary, basé à Gatineau.

Pierre Killeen pense que les producteurs du Québec pourront, grâce au marketing de leurs produits, montrer à leur clientèle les dessous de leur production et pourquoi il est souhaitable, voire essentiel, de s’approvisionner auprès de producteurs accrédités plutôt que de se tourner vers le marché noir.

Killeen explique qu’« il faut que la réglementation nous permette d’expliquer en quoi nos produits sont plus salubres et plus sécuritaires que ceux du marché noir ».

Même si les visées du guide d’autodétermination peuvent être qualifiées de nobles quant à la lutte contre le marché noir, monsieur Baillargeon rappelle que la publicité se concentre souvent à afficher un produit sous son aspect le plus avantageux. « C’est le propre de la publicité de montrer le produit sous son meilleur jour. C’est ce que fait la publicité souvent : banaliser les effets négatifs d’un produit. »

Le professeur de l’Université de Sherbrooke pense que la décriminalisation est une bonne chose, mais que ce n’est pas parce que le cannabis est devenu légal qu’il faut en banaliser la consommation. L’État aura certainement un travail d’éducation à faire auprès de ses citoyens.

La légalisation a bien meilleur gout

Le slogan d’Éduc’alcool, bien connu des Québécois, « la modération a bien meilleur gout », exprime tout à fait la mission de cet organisme de prévention : faire des consommateurs d’alcool québécois des consommateurs responsables. Malgré quelques faux pas publicitaires au courant des dernières années, qui ont découlé en critiques de certaines de leurs campagnes, Éduc’alcool a réussi, selon ses dirigeants, à renseigner la population québécoise sur les effets néfastes d’une consommation excessive.

L’organisation à but non lucratif se compose d’institutions parapubliques, de professionnels du milieu de la santé et du milieu social ainsi que de joueurs de l’industrie des boissons alcoolisées. La sensibilisation ne vient donc pas à proprement parler du gouvernement, contrairement à ce qui est fait pour le cannabis actuellement.

Avec la légalisation imminente de cette drogue en juillet 2018, la mise sur pied d’un consortium similaire à Éduc’alcool est possible. Par contre, selon Dany Baillargeon, la force d’impact d’un tel organisme sur la population reste à valider. Les effets nocifs pour la santé sont déjà connus du public et la consommation est moins démocratisée que celle de l’alcool, par exemple. « On a aussi du mal à imaginer quel genre de publicité pourrait vanter une consommation récréative de cannabis. Ce serait tout un exercice de création publicitaire, c’est certain », s’amuse à imaginer monsieur Baillargeon. Ce serait donc un défi de taille pour un consortium de ce genre, qui devrait s’autoréguler, en plus de se plier au Code canadien des normes de la publicité et à la Loi sur la protection du consommateur au Québec.

Ces deux réglementations gouvernementales, dotées d’exigences élevées en ce qui a trait aux produits potentiellement nocifs pour la santé, possèdent aussi des critères stricts sur la véracité des propos rapportés dans une publicité. Selon les normes canadiennes de la publicité, les publicités ne doivent pas altérer la portée véritable des déclarations faites par des professionnels ou des scientifiques reconnus. Les études prouvant qu’une consommation de cannabis ne nuit pas nécessairement à la santé devront être validées et très rigoureuses pour être mises de l’avant dans les médias.

C’est primordial, souligne monsieur Baillargeon, que la réglementation en matière de sensibilisation et de publicité soit faite pour que le consommateur adulte puisse se bâtir une vision critique face au cannabis, qu’il possède tous les outils nécessaires à des choix éclairés.

Des investissements de plusieurs millions

L’industrie du cannabis est une potentielle mine d’or. Plusieurs entreprises ont déjà obtenu le feu vert de l’État pour entamer leurs opérations alors que d’autres attendent impatiemment. Sachant que la prévalence au Canada de la consommation de cannabis est la troisième plus élevée au monde, les entrepreneurs investissent déjà en constatant le potentiel de vente. Hydropothecary, par exemple, investira un total de 25 millions de dollars pour subvenir à la demande postlégalisation. Le marché potentiel québécois est évalué à un total de 1,2 milliard de dollars annuellement. Ces importantes sommes permettront un investissement en prévention non négligeable.

Les prochains mois laisseront savoir si le gouvernement instaurera ou non une obligation de mesures préventives pour les fournisseurs de cannabis de la future société d’État.

Crédit Photo © Amritanshu Sikdar /Unsplash

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