Jeu. Mar 28th, 2024

Par Abdennour Edjekouane

Le 2 avril 2018 s’apparente à une journée historique pour les Algériennes et les Algériens. Après plus de 20 ans de règne, le régime en place du désormais ex président Abdelaziz Bouteflika a enfin cédé aux revendications du peuple, qui peuvent se résumer en deux mots : « Dégagez-tous ! ». Retour sur des évènements qui ont ébranlé tout un pays pendant cinq semaines très intenses.

Ô peuple réveille-toi !

Tout a commencé le 10 février 2019 quand le président en place Abdelaziz Bouteflika, âgé de 82 ans et très démuni après un AVC en 2013, annonce vouloir se représenter aux présidentielles pour un cinquième mandat de suite. Des citoyens, spontanément et sans aucun encadrement politique, se rassemblent alors par milliers, d’abord à Alger, la capitale, ensuite à Oran et à Constantine. Deux autres grandes villes du pays. Des marches que personne, ni pouvoir ni opposition, n’attendait, se produisent; des slogans crus et directs, mais entachés d’humour et d’autodérision, sont brandis, dans un pays où toute manifestation est tout de suite opprimée. Le vendredi 22 février 2019 constitue un marqueur historique dans ce mouvement populaire. Ce jour-là, des millions de citoyens et citoyennes sortent dans les rues pour signifier leur refus total du système en place et réclament, d’une seule voix, le départ du régime. C’est le début d’un mouvement pour la libération de la parole, pour une dignité à reconquérir, mais surtout pour que le peuple reprenne son destin en main.

Quand le 3 mars, le directeur de campagne de Bouteflika dépose la candidature de ce dernier aux présidentielles auprès du Conseil constitutionnel, les étudiants sont encore dans la rue et continuent de dénoncer le régime. Durant la semaine, les manifestations sont assurées chaque jour par des catégories différentes de la société; les lundis, ce sont les avocats et les médecins qui manifestent, alors que les mardis, à titre d’exemple, ce sont les journalistes et les étudiants qui organisent des marches. Alors que, les vendredis, toutes franges de la société et des gens de tous les âges se donnent rendez-vous, souvent en famille, pour des manifestations monumentales. La revendication gagne en assurance et voit son engagement renforcé. Sous la pression de la masse, mais agissant avec ruse, le président Bouteflika accepte de céder le pouvoir le mardi 19 mars, mais fixe un agenda; il renonce officiellement à briguer un cinquième mandat, mais entre temps, allonge son mandat actuel, jusqu’à la tenue d’une conférence nationale qui désignera un gouvernement de transition. La ruse ne passe pas et s’en suit un refus total.

L’apogée d’une révolution

À la suite de la décision, empreinte d’une manipulation non dissimulée, du président de ne pas se représenter, le peuple signifie plus ardemment son refus; il désire le départ du président et de sa clique immédiatement. La contestation s’amplifie, quand le mardi 26 mars, c’est le chef d’état-major de l’armée qui demande au président de se retirer sur la base des dispositions constitutionnelles. Il recommande l’engagement de la procédure prévue par l’article 102 de la Constitution, qui stipule que le président doit se retirer de la présidence s’il, « pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions ». C’est à ce moment que le régime se fissure. Le lendemain, l’allié principal du président, le parti au pouvoir du Front de libération nationale (FLN) se rallie à la proposition du chef d’état-major de l’armée, alors que des personnalités politiques influentes du régime Bouteflika quittent petit à petit le navire de la présidence.   

D’après l’agence Reuters, plus d’un million d’Algériennes et d’Algériens se sont rassemblés dans la capitale le 29 mars pour un sixième vendredi de suite. La demande d’écarter Bouteflika de la présidence n’étant pas écoutée, le peuple maintient sa demande de départ immédiat ainsi qu’une refonte totale du système politique algérien. Lundi le 1er avril, la présidence annonce que Bouteflika n’ira pas jusqu’à la fin de son mandat prévue le 28 avril prochain, mais des décisions importantes seront prises avant son départ. Cependant, ni date de départ, ni détails n’ont été précisés quant à ces décisions. Le 2 avril, le chef de l’armée demande que soit appliquée « immédiatement » la procédure prévue par l’article 102 de la Constitution, et considère que le communiqué de la présidence sorti la veille comme « non authentique » et émanant « d’entités anticonstitutionnelles et non habilitées », le président ayant quasiment perdu toutes ses capacités physiques. Sous la pression citoyenne soutenue par la position sans équivoque de la hiérarchie militaire, le président remet sa démission au Conseil constitutionnel, mettant officiellement fin à plus de 20 ans de règne sans partage.

Au lendemain de la révolution

Aussitôt, à Alger, la capitale, tout comme à travers tout le pays, des dizaines de milliers de voitures ornées du drapeau national défilent et klaxonnent dans les rues. Le peuple vient d’obtenir sa première victoire majeure contre un régime corrompu qui, comme une sangsue, a aspiré les richesses du pays durant de longues années. La lutte n’est pas finie et le peuple n’est pas dupe, des marionnettes de l’ex-président se trouvent encore, ici et là, dans le système politique; aujourd’hui, la masse, d’une seule voix, demande que soient jugés tous ceux et celles qui ont fait de la corruption leur sport favori.

Contrairement aux révolutions du printemps arabe, ou encore la crise interminable des gilets jaunes qui fait de plus en plus de dégâts en France, celle des Algériens aura été pacifique et surtout réalisée dans un esprit de fête. Aucun évènement fâcheux n’a été reporté.

Il s’agit alors maintenant de passer à une autre étape, celle de reconstruire le pays sur des bases démocratiques et de liberté citoyenne. L’avenir dira si le peuple a réussi sa révolution blanche et sa transition vers une démocratie réelle; vers une deuxième république comme on se plaît à dire là-bas.


Crédit Photo @ Fateh Guidoum, PP AGENCY, SIPA

FORMER ET INFORMER / Le Collectif a pour mission de rapporter objectivement les actualités à la population et d’offrir une tribune à la communauté étudiante de Sherbrooke et ses associations. Toutes les déclarations et/ou opinions exprimées dans les articles ou dans le choix d’un sujet sont uniquement les opinions et la responsabilité de la personne ou de l’entité rédactrice du contenu. Toute entrevue ou annonce est effectuée et livrée dans un but informatif et ne sert en aucun cas à représenter ou à faire la promotion des allégeances politiques ou des valeurs éthiques du journal Le Collectif et de son équipe.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *