Mer. Avr 17th, 2024

Par Hanna Krabchi

Au Québec, le mois de février est celui de l’histoire des Noirs depuis maintenant 10 ans. Dédié à mettre de l’avant les contributions des communautés noires à l’histoire et au développement de la province, un collectif d’étudiantes et d’étudiants de l’Université a décidé de souligner l’événement avec une variété d’activités. Avec pour objectif la sensibilisation aux enjeux raciaux et culturels des communautés noires et racisées, la mise en valeur d’une perspective historique non occidentalocentrée, la promotion de l’art afro sous toutes ses formes et la promotion d’une réflexion sur le concept d’intersectionnalité, le collectif MHNUS a invité, le mardi 24 janvier, le professeur du département d’histoire Patrick Dramé, à donner une conférence sur l’Afrique traditionnelle. À la suite de sa présentation, je me suis entretenue avec Pr Dramé pour en savoir plus sur ce que signifie pour lui la célébration du Mois de l’histoire des Noirs.

Le mois de février est officiellement celui du Mois de l’histoire des Noirs au Québec depuis une décennie seulement, comparativement aux États-Unis, qui le soulignent depuis plusieurs décennies déjà. Le Québec est tout de même tardif sur cette question, non?

« Oui, mais ça montre l’ouverture de la société québécoise. Effectivement ça a mis du temps, puisque la présence des communautés noires au Canada remonte déjà au 17e siècle. Mais je pense tout de même que c’est un tournant majeur. La société québécoise ouvre les yeux, se rend compte qu’aux États-Unis on souligne ce mois important dédié à l’histoire des Noirs souvent marginalisée. De plus, la société québécoise accueille de plus en plus d’immigrants d’Afrique subsaharienne et d’Haïti. Il va donc de soi qu’il faudrait chercher à mieux comprendre l’identité des nouveaux arrivants avec qui on est appelé à interagir. Je trouve que l’institutionnalisation d’un Mois de l’histoire des Noirs au Québec depuis 2007 est une excellente idée. J’avoue que lorsque je suis arrivé au Québec et que j’ai vu que le mois de février était dédié à l’histoire des Noirs, j’étais étonné. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant. Même en Afrique où je suis né et en France, où j’ai vécu à peu près 20 ans. Mais quand je suis arrivé ici, j’ai été approché par des journalistes, des médias et des associations afin de donner des conférences et participer ainsi à la diffusion de l’histoire des peuples africains qui furent les “sans voix” de l’histoire mondiale. D’ailleurs ce Mois de l’histoire des Noirs me permet de sortir des salles de classe et de parler de l’histoire des Noirs à un public plus élargi avec qui je peux de surcroît interagir. »

Et que pensez-vous de la désignation même du mois comme étant celui de l’histoire des Noirs?

« Je trouve que c’est très bien. Pour moi le terme “noir” n’est pas ici employé dans un sens négatif. Il désigne une couleur que porte une communauté de personnes. Par contre, quand tu dis “nègre”, là il y a une connotation péjorative et raciste. Ce terme porte toute une histoire derrière. Ça c’est un premier élément. Mais en même temps, le mot “noir” me gêne un petit peu. Parce que je trouve assez incroyable que l’on dise les “Noirs”, les “Blancs” ー et encore, jusque là ça va ー mais quand on commence à dire les “Rouges”, les “Jaunes”, et ainsi de suite, ça renvoie, finalement à l’idée du blanc comme étant la couleur suprême! Il va de même lorsqu’on utilise le terme “gens de couleur” pour dire finalement que le Blanc n’est pas une couleur, mais le Noir, le Jaune (asiatiques) et le Rouge (Indiens aux États-Unis) sont des couleurs, car n’était pas Blanc. On dirait qu’il y a véritablement une sorte de hiérarchisation du Blanc par rapport aux autres qui ont une couleur. J’ai un vrai problème avec ces catégorisations issues des héritages coloniaux. C’est pourquoi je vous en parle. Mes enfants sont métis. Mon fils de 5 ans m’a posé une question dernièrement qui m’a vraiment surpris. Il m’a dit : “Papa, dans ma classe, comment se fait-il que tous mes amis sont blancs et moi ma couleur est différente? Pourquoi je ne suis pas parfaitement blanc?”. Je ne m’attendais pas une telle question à cet âge-là. Cette question m’a amené à entreprendre une discussion avec ma fille de 8 ans que le sujet intéressait également particulièrement. Ils m’ont alors demandé : “C’est quoi les couleurs que tu connais?”. Je leur ai dit que ce que je crois, dans la vie, c’est qu’il y a des Noirs et des Blancs, point. J’ai surtout fustigé devant eux l’idée de dire qu’il existe des races jaunes, rouges, etc. C’est totalement absurde! On reprend les catégorisations de l’époque coloniale. Ce qui est intéressant de voir, c’est que la couleur blanche n’est jamais questionnée puisque c’est la norme, mais les autres couleurs passent toujours pour suspectes. Je comprends cependant que des enfants métis vivant dans une société à majorité formée par une population “blanche” découvre leur particularisme et ne se l’explique pas. On veut tellement être comme tout le monde… ! »

Selon vous, quelle est l’importance du Mois de l’histoire des Noirs au Québec et au Canada? Croyez-vous que c’est toujours d’actualité?

« Tout à fait. Je pense que c’est d’actualité et extrêmement important. En plus, si tu regardes bien à travers le monde, le Mois de l’histoire des Noirs n’y est pas célébré partout. C’est surtout aux États-Unis et au Canada. Par exemple, en Afrique, c’est très peu célébré. L’institution de ce Mois est extrêmement pertinente et comme je le disais au début de ma conférence, c’est quand même l’occasion de faire la place à des populations dont l’histoire a souvent été déniée, négligée, voire moquée. Surtout, le fait que la création de ce mois vienne de l’Occident, je trouve que c’est une bonne chose. Ça permet finalement aux populations européennes, nord-américaines, de comprendre l’histoire de ces populations-là, qu’elles accueillent de plus en plus chez elles par le biais des flux migratoires. Entre autres parce que ce sont celles-ci qui forment une partie importante de l’immigration aujourd’hui. D’où l’importance de comprendre leurs histoires et aussi leurs identités, afin de mieux interagir avec elles. Je voudrais vraiment qu’en Afrique ça se développe beaucoup plus. »

Mais à quel degré voyez-vous la pertinence d’un mois de la sorte en Afrique?

« Je pense que c’est important qu’il y ait un mois dédié à l’histoire des civilisations africaines en Afrique. Ça serait non seulement le moment pour les Africains de réfléchir sur leur histoire, leur identité, mais aussi sur leurs problèmes actuels et sur leur futur! Bien évidemment, il n’y a pas juste l’histoire des Noirs à penser durant ce mois. Ce mois serait le lieu de s’inscrire dans une dialectique entre le passé, le présent et le futur de l’Afrique. C’est comme cela que je le verrais. Ce serait l’occasion pour les Africains de se dire : “Parlons de notre continent et de façon prospective, critique et constructive.” L’occasion serait tellement belle pour lutter contre l’oubli ou la négligence de pans essentiels de l’histoire des Noirs! »

Pour plus d’informations sur la programmation du MHNUS, rendez-vous sur la page Facebook : MHNUS.


Crédit photo © Eventbrite.ca

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