Mer. Avr 17th, 2024

par Charles Harvey et Sophie Bégin

Les influenceurs gagnent leur vie en la dévoilant sur les réseaux sociaux. Les grandes marques se les arrachent. Pourtant, ils doivent préserver leur intégrité pour conserver leurs abonnés.

Josiane Stratis, rédactrice en chef des blogues Ton petit look TPL et TPL Moms, crée du contenu en ligne depuis qu’elle a 22 ans. Ses publications Instagram sont maintenant suivies par plus de 23 000 personnes. Elle y relate sa vie quotidienne avec sa famille, en prenant soin de la qualité de l’image. Sur une de ses publications, par exemple, on aperçoit trois Smirnoff dans un décor chaleureux : c’est du marketing d’influence. Mme Stratis a accepté de mettre de l’avant ces produits en échange d’une rétribution.

Pour cette jeune mère de famille, l’authenticité n’est pas à écarter. « Je ne veux pas nécessairement être payée pour tout ce que je fais, je trouve que c’est vraiment important de rester authentique. » C’est une manière de conserver une certaine liberté, une manière de montrer aux marques son indépendance.

« Quand une marque m’envoie quelque chose […] cela a toujours été clair que ce n’est pas garanti que je vais poster. Les agences de relations publiques vont faire pression pour nous convaincre de mettre de l’avant un produit, mais ta job à toi c’est de connaître ta valeur et de savoir dire non. »

Ce ne sont pas tous les travailleurs autonomes qui peuvent se permettre de dire non. Quand les revenus ne sont pas constants, il peut être déchirant de refuser un contrat de 5000 $ pour rester honnête dans sa démarche et ne pas promouvoir un style de vie qui n’est pas le sien. D’autres, cependant, n’hésiteront pas à le faire en échange d’une contribution financière.

D’un autre côté, certains clients ne comprennent pas la valeur qu’ont les influenceurs. Selon Émilie Lévesque, qui est suivie par plus de 25 000 abonnés sur sa chaîne YouTube, plusieurs marques ne comprennent pas que la contribution d’un influenceur mène à une banque de clients très bien segmentée qui fait confiance à un porte-parole. Elles ne sont donc pas prêtes à payer des compensations assez élevées et assument que l’influenceur parlera du produit uniquement en obtenant un exemplaire gratuitement. Josiane abonde dans le même sens : « Il y a encore des gens qui n’ont pas conscience de la valeur du travail des influenceurs ou des gens qui produisent du contenu sur Internet. »

Tromperie sur les médias sociaux

Comparativement à nos voisins méridionaux, qui ont ajusté leurs réglementations entourant le contenu de marque dès 2009, le Canada tire de l’arrière. En effet, les Normes canadiennes de la publicité (NCP) précisent que le consommateur doit être en mesure de reconnaître que le contenu présenté découle d’une entente commerciale.

Le NCP est mandaté pour recevoir les plaintes des consommateurs, mais il ne possède pas de réel pouvoir de sanction. Une fois la plainte reçue, il transmettra l’information à l’annonceur fautif. Le Bureau de la concurrence du Canada se charge, depuis 2017, d’appliquer des amendes (allant jusqu’à 5000 $) aux entreprises qui tentent de dissimuler les ententes commerciales qu’elles ont conclues avec leur client. C’est ce qu’on appelle de la désinformation populaire planifiée.

Face à cette nouvelle problématique, Instagram a bonifié ses outils de publications.

Instagram ajuste sa plateforme

Depuis 2016, les utilisateurs d’Instagram ont la possibilité d’identifier leurs publications qui sont sponsorisées. Un message « sponsorisé par » se retrouvera alors en tête du message. Par le fait même, l’annonceur aura automatiquement accès aux mêmes statistiques que l’influenceur. Ce ne sont pas tous les influenceurs qui utilisent cette méthode, certains ajoutent plutôt le mot-clé #pub.

Lorsque des influenceurs comme Marc Fitt, un entrepreneur et adepte de fitness, partagent du contenu de marque, la portée d’une entreprise vient d’exploser. « Les gens bâtissent d’incroyables entreprises sur Instagram à travers le monde, explique Charles Porch, directeur des programmes créatifs chez Instagram, et ces utilisateurs recherchent des moyens d’être le plus transparent possible avec leurs abonnés lorsqu’ils ont des partenariats. »

INFLUENCEURS PUBLICATIONS SUR INSTAGRAM
Sans contenu de marque Avec contenu de marque
Aliciamoffet 255 383 abonnés 396 / 425
93%
29 / 425
6%
elisabeth.rioux 1 446 076 abonnés 627 / 660
95%
33 / 660
5%
emilielevesque3 23 703 abonnés 570 / 616
93%
46 / 616
7%
gloria_bellaaa 48 036 abonnés 314 / 332
95%
18 / 332
5%
marc_fitt 1 488 348 abonnés 1052 / 1054
99,8%
2 / 1054
0,2%

Vers un changement de mentalité

La montée du nombre d’influenceurs au courant des dernières années est significative. Ce phénomène n’est plus tout à fait nouveau, mais est toujours mal compris. Il existe un choc entre les défendeurs des nouveaux médias et ceux qui sont campés dans les médias plus traditionnels. Pourtant, l’innovation se fait maintenant principalement sur le Web, qui porte plus facilement les nouvelles tendances. C’est à se demander ce qui attend les abonnés et les influenceurs au courant des prochaines années.

Toujours selon Josiane Stratis, une meilleure compréhension du rôle des influenceurs sur les médias sociaux est à notre porte. Selon elle, certains artisans des médias traditionnels ont encore beaucoup de préjugés concernant les influenceurs, que ce soit par rapport à leur contenu, ou au fait qu’ils endossent une marque. Pour illustrer que les nouvelles « stars » du Web ne sont pas si différentes que les personnalités plus traditionnelles, la rédactrice en chef de Ton petit look utilise l’exemple des porte-paroles. L’utilisation de personnalités connues en marketing existe depuis longtemps. Sur le Web, l’endossement d’une marque est similaire, mais encore plus démocratisé, car il est fait à plus petite échelle. Les personnalités en ligne n’ont souvent pas de contrat et ont plus de liberté sur ce qu’elles disent du produit. Mme Stratis croit donc que le rôle d’influenceur sera de plus en plus connu et moins critiqué, que sa valeur augmentera dans le paysage médiatique québécois.

« Les médias traditionnels vont se rendre compte qu’ils ne peuvent pas juste dénigrer le travail des influenceurs. Les gens vont arrêter de dénigrer et ils vont peut-être comprendre. Mais ce n’est pas pour tout de suite c’est sûr. Ils vont devoir s’en rendre compte parce que les médias traditionnels sont en train de mourir. […] Si les gens tendaient la main, ils apprendraient beaucoup et ça les aiderait au final. »

Pour Jean Roy, Ph D. et directeur du département de marketing de l’Université de Sherbrooke, même si certains influenceurs peuvent effectuer des faux pas à l’occasion au détriment des marques qu’ils endossent, ils garderont leur place dans les budgets publicitaires des entreprises. Cette place pourrait éventuellement augmenter, vu leur proximité avec les consommateurs en tant que leader de communauté de marque.

« Du contenu qui me ressemble »

Dans le cadre de cet article, dix fervents amateurs de YouTube ont été interrogés pour bien comprendre les motivations qui les poussent à suivre continuellement le contenu d’une personnalité du Web. Les réponses sont similaires, surtout pour du contenu plus spécifique. « L’importance que le créateur de contenu utilise plusieurs plateformes » revient à plusieurs reprises. Sa présence sur YouTube doit être accompagnée par une présence ailleurs pour que ses abonnés aient facilement accès à son contenu. Le type de contenu influence également beaucoup les abonnés. L’avantage de YouTube plateforme, c’est que le contenu qui s’y retrouve peut être de toute sorte et accessible par tout le monde à tout moment. L’authenticité des vedettes du Web est aussi beaucoup recherchée par les abonnées. Ils veulent pouvoir faire confiance en  ce qu’elles disent, et surtout, en ce qu’elles endossent. Le sentiment d’identification est donc très fort et l’accès à la personne assez facile.


Crédit photo @ Unsplash, Seth Doyle

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