Mer. Avr 17th, 2024

edito-mcUn projet de loi déposé par un gouvernement majoritaire est en soi une raison de l’analyser attentivement. Quand celui-ci porte le nom de projet antiterroriste, la conscientisation de la population s’explique davantage.

Par Marie-Claude Barrette

Ceux qui désignent la lutte antiterroriste mise en avant par le gouvernement comme une chasse ouverte aux sorcières n’ont pas totalement tort. Dans l’édiction de ses recommandations et des modifications connexes à plusieurs lois, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile préconise des termes larges et vagues pour certainement permettre une l’attitude dans ses futurs « mouvements » antiterroristes. L’arbitraire prend une place (trop) importante et les zones grises sont multiples. Résultat? Il y a autant d’interprétations possibles que de citoyens intéressés. La méfiance de la population s’explique; l’animosité des opposants, tout autant. Si le gouvernement veut mettre ses citoyens à l’abri, il leur donne plutôt l’impression de vouloir les enfermer.

Une version déguisée du Patriot Act?

Quelque quarante-cinq jours après les attentats du 11 septembre 2001, une loi antiterroriste est votée par le Congrès américain sous la présidence de George W. Bush. Deux axes majeurs ressortent de ce texte d’au-deçà de cent pages. D’abord, la loi élargit le pouvoir de surveillance des services de renseignements en autorisant aux différentes agences l’accès à toutes informations des citoyens et des entreprises sans autorisation préalable et à leur insu. Aussi, elle crée de nouveaux statuts de « criminels » afin de permettre toute détention, sans limite ni inculpation, d’une personne suspecte de mettre en avant un projet terroriste.

Notons que contrairement au projet de loi C-51, le Patriot Act est une loi d’exception. C’est donc dire qu’il doit être renouvelé tous les quatre ans (sauf entente de prolongation contraire pour une disposition particulière). Par ailleurs, parmi les nombreuses controverses engendrées par la loi américaine, nous retrouvons celle entourant le terme « unlawful combatant » (combattant illégal) défini dans le Patriot Act qui justifie la détention de prisonniers sur la base navale de la baie de Guantánamo. Rien de tel ne semble pouvoir arriver avec la future loi canadienne.

Pourtant, le projet de loi C-51 s’inscrit dans le même climat que le Patriot Act : celui de la peur du terrorisme. Mais est-ce que la légitimité du projet s’explique en raison de quelques actes isolés? La question est posée et les nombreuses mains levées témoignent d’une incompréhension générale. Si la « raison » du projet peut s’expliquer, la « façon » de le mettre en application amène son lot de questionnements.

La célèbre maxime « Big Brother is watching you » nous vient à l’esprit.

Certains passages sèment le doute

Plusieurs dispositions sont jugées trop liberticides. Dans son projet de loi, le ministre octroie plus de pouvoirs aux différentes agences de surveillance canadiennes, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) notamment, sans limites concrètes. Une augmentation qui semble restreindre certaines libertés fondamentales. Or, le droit à la vie privée est-il réellement atteint? Certains brandissent leurs poings en guise de protestation; d’autres assurent que l’atteinte se justifie au nom de la sécurité nationale. Qui a tord, qui a raison?

Considéré objectivement, le projet de loi restreint cette liberté fondamentale puisqu’il permet de « connaître pratiquement tout sur tout le monde », comme énoncé par Daniel Therrien, commissaire fédéral à la protection de la vie privée, dans un mémoire destiné au Comité qui étudie C-51. Toutefois, la loi doit également être étudiée dans son contexte d’application. Et c’est particulièrement sur ce point que les opinions sont divergentes.

Dans tous les cas, le manque de limites quant à l’exercice du pouvoir des organismes de sécurité nationale pose problème. D’autant plus qu’un nombre important de ministères fédéraux en cause n’a pas de comité de surveillance. Cela revient à dire que les organismes décideront eux-mêmes des limites de leurs pouvoirs. Qui sera la police de la « police »? Personne apparemment.

Dans le libellé de ses recommandations, Daniel Therrien voit juste en stipulant que « la loi devrait établir des normes claires et raisonnables pour régir la communication, la collecte, l’utilisation et la conservation des renseignements personnels et la conformité à ces normes devrait faire l’objet de mécanismes d’examen indépendants et efficaces, y compris par les tribunaux. » Aussi, aucun recours judiciaire n’est prévu pour une collecte d’informations faite de façon inappropriée.

Si la communication élargie d’informations est une mesure efficace pour prévenir les menaces, la mise en avant de mesures assurant la protection des citoyens canadiens doit d’abord s’inscrire dans un climat de respect des libertés de ces derniers. Peut-on imaginer une telle situation?

L’adoption prochaine… et certaine

La mise en place de mesures dont l’objectif premier est de promulguer la sécurité nationale est nécessaire et cadre dans les attentes de la population depuis les événements tragiques survenus au cours des derniers mois. Ainsi, il semble que les citoyens canadiens soient en accord avec le principe du projet de loi C-51. C’est la façon dont leurs informations personnelles seront collectées et utilisées qui les préoccupe. Des discussions et des modifications sont nécessaires afin de non seulement répondre aux attendes de la population, mais également assurer l’efficacité et la légitimité du projet de loi.

Dans tous les cas, puisque le gouvernement actuel est majoritaire, nous devrons tous nous rendre à l’évidence : cette loi sera en vigueur, avec ou sans changement. Espérons que le comité parlementaire à Ottawa inspectera attentivement cette loi antiterroriste et instruira la population sur sa réelle portée.

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