Mer. Mar 27th, 2024

 

Par Gabriel Martin 

Traditionnellement, on considère que le français comporte deux genres : le masculin et le féminin. L’avancement de la pensée queer, qui cherche à éroder la discrimination faite en fonction du genre, appelle au bouleversement de cette conception en ouvrant la porte à la création d’un troisième genre grammatical, universel, pouvant désigner toute personne.

Il est déjà possible, en français, de produire des énoncés épicènes, c’est-à-dire des énoncés où le genre ne se manifeste pas. Par exemple, dans une phrase comme « son enfant joue dehors », le mot enfant s’écrit et se prononce de la même manière qu’il soit accordé au masculin ou au féminin. De plus, le sexe ou le genre prêté à l’enfant en question n’est pas précisé et ne peut pas être inféré, puisque le déterminant son est lui-même identique au féminin et au masculin dans ce contexte. La phrase « son enfant joue dehors » est donc dite épicène.

À l’encontre de l’académisme, il est possible d’envisager cette capacité du français à produire des énoncés qui ne sont ni masculins ni féminins comme le fondement d’un nouveau genre grammatical, que l’on pourrait justement nommer l’épicène. Il aurait donc en français trois genres : le masculin, le féminin et l’épicène.

La rédaction épicène traditionnelle consiste à contourner de nombreuses formulations où les noms et les adjectifs marquent le genre d’un référent humain. Parfois, le simple remplacement de mots par d’autres suffit. Ainsi, le sujet masculin d’un énoncé comme « son frère est gentil » devient un sujet épicène dans « son adelphe est aimable » (rappelons que le terme adelphe désigne une personne qui est née des mêmes parents qu’une autre personne; ce générique peut donc remplacer les mots usuels frère et sœur). D’autres fois, une reformulation est nécessaire. À titre d’exemple, le sujet féminin d’une phrase comme « sa sœur est très intelligente » devient épicène dans « son adelphe possède une vive intelligence ».

Dans certains contextes, il peut être difficile de trouver des reformulations épicènes efficaces pour des énoncés aussi simples que « un brillant étudiant me salue » ou « une brillante étudiante me salue », qui peuvent rapidement donner des formulations à rallonge comme « une brillante personne de la communauté étudiante me salue ».

Une solution de rechange, fort radicale et susceptible de bouleverser bien des habitudes, est toutefois envisageable. Cette solution consiste à créer de toute pièce un suffixe (grosso modo, une « finale de mot ») propre au genre épicène. Concrètement, cela signifie que l’on pourrait ajouter un élément à la langue, disons -i, pour transformer pratiquement tout mot féminin en mot épicène.

Ainsi, à partir du nom et adjectif étudiante, il serait possible de former étudianti à l’épicène. Voici quelques autres exemples de noms et adjectifs épicènes formés d’après les formes féminines :

  • amoureuse > amoureusi
  • entraineuse > entraineusi
  • heureuse > heureusi
  • professeure > professeuri
  • sportive > sportivi

De manière similaire, il est possible de créer des déterminants épicènes, comme uni et li pour remplacer respectivement un, une et le, la.

Sans entrer dans les détails, précisons qu’il est plus simple de créer des formes épicènes à partir des formes féminines qu’à partir des formes masculines. Cela s’explique par le fait que, en français, le féminin est la forme de base, contrairement à ce qu’on apprend implicitement à la petite école, qui instille en nous d’importants préjugés sur le fonctionnement de notre langue.

Devant les exemples présentés dans cet article, bien des gens sourcilleront sans doute. Certes, l’implantation d’un nouveau genre grammatical dans une langue naturelle vivante ne se fait certainement pas en claquant des doigts; la route menant à la réussite d’une telle entreprise est évidemment parsemée d’embuches gigantesques. Il existe toutefois une voie d’espoir : si des groupes militants parviennent à se mettre d’accord sur une convention commune pour exprimer le genre épicène en français, celui-ci aura plus de chances d’un jour se voir démocratiser peu à peu dans diverses sphères d’initiées, jusqu’à éventuellement devenir suffisamment habituel pour se généraliser à toute la population, après quelques décennies, voire quelques siècles de travail solidaire. Quelques écrivainis sauront peut-être, avec audace, saisir la balle avant les autres?

En attendant, un passage du classique littéraire L’Euguélionne (1976, p. 230) indique le chemin à suivre : « N’attendez plus de permission pour agir, parler et écrire comme vous l’entendez. […] Inventez la forme neutre, assouplissez la grammaire, détournez l’orthographe, retournez la situation à votre avantage, implantez un nouveau style, de nouvelles tournures de phrases, contournez les difficultés. » On ne saurait mieux inviter à l’action dissidente, en marche vers la liberté.


Crédit photo © quebecfrancais.org

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