Jeu. Avr 18th, 2024

Par Catherine Foisy

La première fois, j’avais trois ans. Mon père me portait sur ses épaules devant le Parlement de Québec. À deux, nous ne formions qu’un. Nous marchions, ou plutôt, il marchait, avec sur les épaules sa jeune fille. Dans le cadre de la Marche du pain et des roses, plus de 800 femmes participaient à une marche de dix jours. Pendant dix jours, elles parcoururent le Québec en revendiquant le droit des femmes à l’égalité des sexes. Le 4 juin 1995, le mouvement syndical les avait rejointes devant le Parlement. Le 4 juin 1995, mon père et moi étions présents.

Il aura fallu des années avant que mon père me raconte à nouveau cette odyssée de plusieurs kilomètres sur plusieurs artères et ruelles de la capitale québécoise. En 2012, alors que je préparais mon sac à dos, prête à affronter les intempéries humaines, il me raconta ce moment. Cette manifestation féministe à laquelle il m’avait emmenée. À trois ans, j’assistais à ma première manifestation, sur les épaules de celui qui devint rapidement un modèle pour moi.

Je me souviens d’ailleurs de toutes ces balades en voiture où nous devions nous arrêter chaque fois qu’un groupe de personnes manifestait sur le bord de la route. Mon père ralentissait pour les encourager, peu importe l’essence de leurs revendications. Bien qu’il ait cessé de participer à ces manifestations il y a longtemps, moi, je le fais toujours. Je le fais pour mes convictions, mais également parce qu’il m’a inspirée. Il m’a non seulement appris à ne pas accepter l’injustice, mais également à me battre pour la renverser. Parce que nous avons le pouvoir de le faire.

Ma première manifestation en tant qu’adulte a eu lieu, sans surprise, en novembre 2011, quelques mois avant que le déclenchement de la grève générale illimitée du printemps érable. J’avais peur. J’étais terrifiée lorsque les policiers ont lancé des bombes lacrymogènes dans l’autobus dans lequel j’étais. Mais on nous avait bien formés, le syndicat étudiant nous avait enseigné quoi faire et comment réagir à de telles situations. Sur nos bras, le nom de l’avocat qu’il fallait appeler en cas d’arrestation figurait en marqueur rouge.

J’ai été arrêtée deux fois cette année-là. Deux fois alors que le plus gros crime que j’avais commis était de voler un paquet de gommes au p’tit dépanneur du coin, alors que j’ignorais encore qu’il fallait payer pour des biens (en très bas âge). Ironiquement, je n’avais plus peur. Je n’avais plus peur parce que vous étiez là, vous aussi. Cette force de groupe m’a marquée, et me marque toujours d’ailleurs.

Le 22 mars 2012. Cette journée-là, il n’y avait pas de quoi avoir peur. Des vieillards en fauteuil roulant, de jeunes enfants, de jeunes couples, des étudiants, mais également des travailleurs se partageaient la rue. À ce moment-là, la rue nous appartenait réellement, plus que le temps d’un slogan. La ville était alors engloutie par une marrée rouge qui criait plus fort que jamais, plus pacifiquement que jamais. Et moi, jeune adulte de 19 ans à l’époque, y étais, ainsi que 199 999 de mes consœurs et confrères (chiffre difficilement quantifiable, qui, quatre ans plus tard, n’est toujours pas officiel).

Le 22 mars 2016 qui approche, c’est le temps de souffler la quatrième bougie de la plus grande manifestation étudiante québécoise.


La manifestation : entre droit et devoir 

La manifestation pour la Journée internationale des travailleurs (1er mai), celle pour la Journée internationale des femmes (8 mars), celle pour le Jour de la Terre (22 avril) ou celle pour dénoncer la brutalité policière (15 mars); celles-ci reviennent chaque année. Impérissables, ces journées s’acclimatent aux mouvements sociaux du moment. Droit fondamental de l’homme qui va de pair avec la liberté d’expression, le droit de manifester occupe tantôt une position de devoir. 

La défense du droit en théorie

Le droit de manifester serait mis à mal au Québec, avance la Ligue des droits et libertés (LDL). Celle dont la mission est de protéger et de défendre le droit de l’humain au Québec depuis 50 ans indique que de plus en plus, des manifestants se font arrêter sans motif justifiable, brutaliser par les forces policières et poursuivre en justice. À cela, elle ajoute que le gouvernement contribue à cette injustice en discréditant le droit de manifester. Essentielles à la démocratie, ces manifestations sont défendues par les membres de la Ligue.

C’est dans le cadre de leur publication Mythes et réalités sur le droit de manifester (novembre 2015) que la LDL sépare le vrai du faux. Belle entrée en la matière, le premier point (une réalité) est le droit de manifester. On rappelle ici que c’est grâce à ces luttes de toute sorte, dont le principal outil était la manifestation, que la société québécoise a su avancer et acquérir des principes sociaux. Pour ce qui est du plan juridique, manifester est un droit constitutionnel reconnu au Québec, au Canada et partout dans le monde. D’ailleurs, plusieurs avanceront qu’une démocratie ne peut être sans présence de manifestation, de lutte.

La force du nombre, le devoir

Au Québec, la manifestation populaire fait partie intégrante des valeurs. Mais cette manifestation n’a pas d’impact sans mobilisation, elle n’est qu’un outil d’expression au service de centaines de luttes. Elle n’est qu’au service d’un message qui lui est le plus important. Un message ne passe pas s’il n’est pas répété par plusieurs. La ligne entre le droit et le devoir est ici mince. Parce que si personne ne sort dans la rue, personne n’entendra. Alors que si tout le monde se mobilise, le message passera plus facilement. Pensons à ces manifestations où plus de 100 000 participants déambulaient en répétant un message bien précis.

Au moins quatre manifestations québécoises se chiffrent à plus de 100 000 participants. D’abord, le 24 juin 1990, le défilé de la Fête nationale du Québec prend des proportions inattendues. C’est une foule d’environ 400 000 personnes qui sillonne sur la rue Sherbrooke, à Montréal. Ensuite, l’hiver 1993 suit avec la manifestation contre la réforme de l’assurance-emploi canadienne. Plus de 100 000 personnes étaient présentes. Plus tard, une manifestation qui avait pour but de dénoncer l’implication des Forces armées canadiennes dans la guerre d’Irak s’est déroulée le 18 janvier 2013 dans les rues de Montréal. On parle de 150 000 personnes. Inévitablement, la plus grande manifestation étudiante est la manifestation nationale du 22 mars 2012. Environ 200 000 manifestants se partageaient la rue.

La manifestation est entre droit et devoir. La démocratie, entre la rue et les dirigeants.


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