Mar. Avr 16th, 2024

Par Alexandre Leclerc

Malgré les grosses pointures présentes au 72e Festival de Cannes plus tôt cette année, Parasite s’est vu récompensé de la Palme d’Or avec l’unanimité du public et du jury. En compétition avec les Tarantino, Malick, Jarmusch, Loach, Almodóvar, Kechiche, Dolan et les frères Dardenne (qui ont tous remporté de nombreux prix sur la Croisette), Joon-ho Bong (Snowpiercer, Okja) est parvenu à décrocher les grands honneurs, une première dans l’histoire du cinéma sud-coréen. Après plusieurs mois d’attente, le public nord-américain peut finalement se régaler du meilleur film étranger de 2019.

Une éternelle lutte de classes

Le récit suit les Kim, des escrocs de second ordre, luttant constamment pour se sortir de leur précarité. Vivant dans un demi-sous-sol au sein d’un quartier malfamé, ils comptent sur les revenus de la confection de boîtes à pizza en carton et sur le Wi-Fi du café le plus près pour survivre. Puis, un jour, un ami de Ki-woo (Woo-sik Choi) lui annonce son départ vers l’université, et lui suggère de prendre le poste de tuteur d’anglais qu’il occupe au sein d’une famille riche de la ville. Ki-woo accepte et, après une courte période de probation, est officiellement engagé par les Park. Voyant l’opportunité de finalement se sortir de la misère, les Kim élaborent un complexe stratagème pour faire congédier les différents employés des Park (chauffeur, professeur d’art et femme de ménage) pour prendre leur place.

Si le scénario semble familier — des parallèles avec la série Les Bougons ou le drame japonais Shoplifters, lauréat de la Palme d’Or l’an dernier — le scénario, somme toute assez banal au début, prend une tournure inattendue après la première heure. En dévoiler plus serait impossible sans gâcher la surprise, mais alors que la première partie se situe plutôt dans la comédie cynique, la seconde partie opte plutôt pour le thriller dramatique, dans un amalgame bien dosé et fortuit. Ce changement de ton est très bien géré par le réalisateur, qui cosigne le scénario avec Han Jin Won.

L’humour fonctionne bien, malgré son ton caricatural. La famille Kim est dépeinte comme ingénieuse et cynique face au capitalisme violent de la Corée du Sud, alors que les Park sont présentés comme de riches niais sans véritable considération pour le « petit peuple ». Si quelques blagues sont bien pensées, c’est plutôt le thriller qui fait la force de Parasite, alors qu’il nous tient en haleine jusqu’à la fin en jouant toujours avec la familière étrangeté et nous fait vivre des émotions viscérales auxquelles on ne pourrait s’attendre. Le scénario peut se targuer d’avoir une profondeur insoupçonnée qui remet en question, non pas de façon originale, mais tout de même efficacement, le capitalisme et la lutte des classes.

Une réalisation exemplaire

Si le scénario est efficace, les aspects techniques qui l’entourent sont brillamment exécutés. Pensons d’abord à la maison moderne dans laquelle se situe la majorité de l’action. Elle agit véritablement comme l’un des personnages, avec sa sonnette banale (mais qui ajoute à une ambiance dramatique), ses pièces épurées et ses nombreuses fenêtres qui contribuent toutes à créer cette ambiance angoissante réussie. Cette maison occupe une place centrale, un peu comme le ferait un vieux château dans un film d’horreur.

La maison seule ne suffit pas, il faut également savoir bien la présenter. À cet égard, la cinématographie est tout simplement sublime, avec des teintes très froides où le gris, le vert et le bleu font ressortir l’élément d’étrangeté, et où la lumière joue un rôle important. Les images sont très soignées, et il est à parier que Parasite pourrait décrocher quelques nominations supplémentaires aux Oscars (en plus de celui de meilleur long-métrage étranger). La musique, discrète, mais efficace, vient couronner le tout, frôlant l’excellence technique.

Un dernier mot sur le jeu des acteurs et actrices. Tous et toutes jouent à perfection, mais il se dégage un charisme certain chez Ki-taek Kim (Kang-ho Song), le père de famille austère, mais attachant, tout comme chez Yeon-kyo Park (Yeo-jeong Jo, dans un premier rôle d’envergure) qui interprète avec brio le rôle de la mère bourgeoise. La chimie qui opère au sein des deux cellules familiales est tout simplement parfaite.

Un film accessible

Certaines personnes sont rebutées par les films qui remportent des prix d’importance. Les critiques et l’auditoire n’ont en effet pas souvent la même opinion, puisque ces deux publics ne recherchent pas tout à fait la même chose lors d’un visionnement. Très rares sont les productions qui font l’unanimité. Parasite est toutefois l’une des exceptions à la règle, étant très grand public, au sens où il est assez universel dans ses thématiques et dans sa construction générale. Il est également très divertissant, surtout dans sa seconde moitié. Il jouit aussi d’une certaine profondeur, que les critiques apprécieront à tout coup (dynamique de lutte de classes, message social fort, empathie envers les personnages).

N’étant pas à proprement dit rassembleur comme un Marvel peut l’être, il ne rebutera pas un auditoire en quête de sensations fortes et d’une belle expérience cinématographique. Parasite se veut en effet très accessible et pour tous les publics. Son seul défaut est peut-être sa présentation en version originale sous-titrée, qui pourrait en décourager plus d’un. Il faut tout de même avouer qu’une plus grande place est faite au cinéma international : à l’heure des Netflix et autres plateformes de streaming, nous sommes maintenant habitués aux versions originales. On ne peut que souhaiter que Parasite rejoigne son public, puisqu’il est assurément le meilleur film étranger cette année, sinon le meilleur de 2019, tout simplement.


Crédit Photo @ Néon

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