Mar. Mar 26th, 2024

Par Gabriel Gélinas 

Une consultation publique, suspendue pour une période d’un an par le gouvernement fédéral mercredi dernier, envisage la possibilité d’augmenter la quantité de pesticides dans certains aliments au Canada. Malgré cette pause, rien ne semble indiquer que le gouvernement renoncera définitivement à rehausser considérablement la concentration de glyphosate, permise dans certains aliments canadiens. Voici un portrait des récents événements. 

Tout d’abord, il faut savoir que le glyphosate est un herbicide particulièrement puissant et polyvalent. Il parvient notamment à tuer toutes les plantes qui nuisent à l’agriculture intensive ou industrielle. Plus précisément, le glyphosate est le principal ingrédient actif de l’herbicide le plus vendu au monde, Roundup, produit par Monsanto depuis 1975. Aujourd’hui, on le retrouve notamment dans le blé, l’orge, l’avoine, les pois, les haricots et les noix. 

En 2019, il s’est vendu près de 1878525 kilogrammes de glyphosate, ce qui représente le double de ce qui se vendait au début des années 2000 et le quadruple de la quantité vendue dans les années 1990. Cette fulgurante augmentation se justifie en partie par une nouvelle utilisation, hautement critiquée par plusieurs experts, qui consiste à en asperger les champs pour les assécher et ainsi faciliter la tâche des moissonneuses. 

Un manque de transparence remarqué 

Ainsi, le glyphosate est un aliment omniprésent dans l’alimentation au Canada. Il ne s’agit toutefois pas d’un sujet sur lequel le gouvernement se montre particulièrement transparent ou pédagogue auprès de la population. Au contraire, force est de constater que l’information transmise par le gouvernement fédéral demeure très opaque et cryptique, même pour plusieurs experts. 

C’est d’ailleurs ce manque de transparence qui explique pourquoi l’identité du demandeur de cette consultation publique ne figurait pas dans l’avis initialement publié en mai dernier par le gouvernement fédéral. Ce qui peut sembler un détail n’en est pourtant pas un puisque c’est la société pharmaceutique et agrochimique Bayer, propriétaire de Monsanto depuis 2016, qui en est à l’origine. 

De plus, comment expliquer qu’une substance, probablement cancérigène selon le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé, soit jugée sécuritaire par Santé Canada? 

En fait, les deux arguments se fondent sur des études contradictoires. D’un côté, le Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS s’est uniquement basé sur des études indépendantes portant sur les effets du glyphosate pur, mais également du Roundup, un mélange de glyphosate et d’autres substances chimiques. De l’autre, Santé Canada s’est principalement basé sur des études de l’industrie portant uniquement sur les impacts du glyphosate pur. 

Comme l’indique Isabelle Pilote, cheffe de section à la Direction de l’évaluation sanitaire de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), «Eux [Bayer], ils nous donnent des données scientifiques, on les évalue, puis on propose des limites maximales de résidus à la suite de cette évaluation». 

Toutefois, dans son communiqué publié mercredi dernier, Ottawa annonce vouloir tenir des consultations sur les changements législatifs à apporter pour accroître la transparence en matière de pesticides et améliorer le processus d’approbation de ces produits. 

Des hausses loin d’être minimes 

Les augmentations proposées par le gouvernement fédéral sont considérables. Par exemple, la concentration de résidus de glyphosate autorisée sur les pois chiches et les haricots pourrait tripler, allant jusqu’à 15 parties par million.  

Une seconde consultation publique, portant sur l’utilisation de pesticides sur certains petits fruits, est menée simultanément par Santé Canada à la demande du ministère fédéral de l’Agriculture et de Syngenta, un fabricant de pesticides. Les changements proposés permettraient de multiplier par sept la concentration d’insecticide et de fongicide dans le cas des framboises. 

Pour Louise Hénault-Ethier, chercheuse associée à l’Institut national de recherche scientifique (INRS) qui se spécialise sur les pesticides, ce changement législatif n’a pas lieu d’être. Elle rappelle qu’entre 2015 et 2018, sur 8000 échantillons testés par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, seulement 0,6 % de ceux-ci ne respectaient pas les normes applicables. C’est donc dire que les normes actuelles sont largement respectées. 

L’importance d’écouter les producteurs d’ici 

La société Bayer demande plus particulièrement au gouvernement canadien un «alignement» législatif avec d’autres pays. Selon elle, une augmentation des concentrations permises de glyphosate dans certains aliments faciliterait le commerce international de denrées sans pour autant mettre à risque la population canadienne. 

L’objectif avoué de ces nouvelles limites est donc de permettre l’importation d’aliments notamment américains qui, dans le cadre législatif actuel, ne sont pas permis au Canada. Pour David Lemire, président de l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec, ce changement se ferait au grand désavantage des producteurs québécois et canadiens de ces aliments, qui se satisfont globalement des normes actuelles. 

«On n’a aucun intérêt à faire monter ce taux-là, parce que ça pourrait permettre à des produits qui dépassent la norme actuelle de rentrer chez nous.»   – David Lemire, président de l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec 

Bien que des demandes similaires aient été faites à la classe politique américaine, force est de constater que, bien ironiquement, les nouvelles normes suggérées par Santé Canada dépassent pourtant largement celles actuellement en vigueur aux États-Unis. 

Un retournement pour le gouvernement 

Ce changement de volonté du gouvernement fédéral à l’égard des pesticides survient par ailleurs malgré une tendance mondiale visant à réduire l’utilisation et la présence des pesticides dans l’alimentation. 

Pour rappel, le gouvernement fédéral s’était lui-même engagé à interdire les pesticides néonicotinoïdes comme l’a fait l’Europe avant lui. Ce type de pesticide est à la source de l’effondrement des populations d’abeilles à l’échelle mondiale. Or, cette promesse ne s’est jamais réalisée. Au contraire, le gouvernement canadien propose dorénavant de tripler la concentration permise de sulfoxaflore, un insecticide qui agit comme les néonicotinoïdes. 

Pour le moment, Santé Canada indique mettre sur la glace cette révision législative. Force est de constater que, avec les élections fédérales à l’horizon, ce revirement de situation est en réponse directe à l’importante pression mise sur le gouvernement par différents groupes politiques, industriels et environnementaux. Santé Canada précise toutefois que ce n’est partie remise au printemps 2022. 

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