Mer. Avr 24th, 2024

Par Gabrielle Beaudry

En échange, le temps s’écoule de la façon la plus contradictoire. D’une part, les choses simples sont vécues si intensément, qu’après seulement quelques semaines, on a l’impression d’avoir déposé nos bagages il y a de cela une éternité. D’autre part, on a également l’impression de vivre le quotidien au rythme d’une cassette VHS sur fast forward

Contrairement à la croyance populaire, les semestres à l’étranger ne sont pas des Eurotrip partiellement financés par le gouvernement québécois. Un étudiant à temps plein en Angleterre poursuit obligatoirement l’équivalent de 18 crédits universitaires et le cursus académique est, disons, plutôt sportif. Le meilleur incitatif que j’ai trouvé pour être efficace durant la semaine dans mes études est de prévoir une escapade vers une ville quelconque pour la fin de semaine. Eveline et moi avions décidé de nous récompenser pour nos quelques journées de dur labeur par une petite virée à Bath. Jacob, étudiant en archéologie et définitivement le plus studieux de notre groupe, avait finalement décidé de nous joindre sous prétexte que le voyage serait un atout pour l’un de ses travaux de session. Puis, contre toutes attentes, Max avait réservé son billet de train le matin même de notre départ. C’est ainsi que la parité (des nationalités et des sexes) fût atteinte. Justin aurait été fier de nous.

À la fin de nos cours, nous nous rendons à la gare de train de Leicester. Après avoir acheté nos meal deals respectifs, nous embarquons dans la première de nos trois correspondances qui nous mènera à la ville de Bath. Je me permets de faire un court aparté pour faire une humble ode aux fameux meal deals. Dans ce pays où toutes les étiquettes de prix ont le potentiel de déclencher une crise cardiaque, cette aubaine alimentaire (qui comprend un sandwich, une collation et un breuvage) est une véritable victoire pour la gratteuse en moi. Bref, à notre arrivée dans le train, aucune place n’est disponible. Drôle comment à vingt mille lieux de chez soi, on peut ressentir le déjà vu des plus vivides : Montréal, par une journée de canicule, dans un métro à la climatisation déficiente, pressée contre des inconnus tels des sardines en boîte. Vous aurez compris que trouver une place assise dans un train en Angleterre est un peu comme gagner à la loterie.

Nous arrivons à Bath en fin de soirée, exténués et courbaturés. À peine un kilomètre nous sépare de notre auberge de jeunesse (St Christopher’s Inn) située en plein centre-ville. Ayant comme but unique de se coucher à notre arrivée, nos plans sont rapidement déroutés lorsque nous rencontrons deux Allemandes sympathiques. Mona et Annalena nous proposent de prendre un verre au pub situé à deux pas de notre auberge et nous acceptons allégrement. Nos plans de grands-mères se dissolvent au fil des petites heures du matin. Fait cocasse : les Anglais dans les pubs s’apparentent étrangement aux Québécois dans les bars de région. Il ne faut pas plus qu’une bière dans la main de chacun et un peu d’Éric Lapointe (ou de Bowie) pour que de parfaits inconnus deviennent meilleurs amis le temps d’une soirée. Bath ou Shawinigan, same difference.

Le lendemain matin, nous prenons part à une visite guidée de la ville à la marche. En toute honnêteté, je n’ai absolument rien compris de ce que notre guide racontait pendant plus de deux heures. Pour cause : sa maîtrise plus que rudimentaire de la langue de Shakespeare comparable à celle de Pauline Marois. Heureusement, la ville romaine parlait pour elle-même. Son architecture témoigne bien des différentes périodes de l’histoire qui l’ont façonnée au fil des siècles. Fondée par les Romains en tant que « thermes » (bains publics), Bath s’est transformée en épicentre de la production de laine au Moyen Âge. Au 18e siècle, de nombreux édifices de style palladien sont érigés sous le règne de George III. On se rince l’œil architectural devant l’Abbaye de Bath, le pont Pulteney, le Royal Crescent et le fameux Cirque, au centre duquel un unique claquement des mains produit un écho impressionnant. Puis, nous passons l’après-midi aux Thermes de Bath. Difficile de ne pas être ébahi devant ce génie humain d’autrefois, qui demeure à ce jour si bien conservé. Ce site de baignade publique est la preuve tangible que le désir de se faire ratatiner les orteils dans de l’eau chaude (et sulfureuse) ne date pas d’hier.

En soirée, nous rejoignons mon ami Andrew, qui étudie le génie à la prestigieuse University of Bath. Un Canadien de Vancouver du nom de Calum, rencontré par hasard dans la salle commune de l’auberge, se joint à nous. Andrew et moi en profitons pour prendre des nouvelles l’un de l’autre pendant que nos groupes d’amis respectifs partagent des anecdotes autour d’une bonne pinte. Notre groupe d’internationaux clôture la soirée, les yeux rivés à l’écran qui présente la finale du slopestyle. Je ne sais pas si c’est le fait que je sois à l’étranger pendant une période prolongée ou les Olympiques, mais mon patriotisme québéco-canadien est palpable ces jours-ci.

Le lendemain, Max, Eveline, Calum et moi mettons le cap sur le National Trust’s Bath Skyline qui offre six milles de verdure en altitude avec en prime une vue imprenable sur la ville. Nous nous posons en fin d’après-midi dans un mignon café (Wild Cafe) aux allures hipster dignes du Mile-End. Puis, par hasard, nous tombons sur une magnifique petite librairie dont chacun des livres est soigneusement choisi avec affection par les propriétaires. Chacun y trouve son compte, à l’exception de Max, qui est toujours désespérément à la recherche d’une copie de Call Me By Your Name d’André Aciman, qui a d’ailleurs inspiré le film du même nom.

Le ciel arbore une teinte violacée à notre départ de la station de train de Bath. Je commence à réaliser, malgré moi, que toute bonne chose a éventuellement une fin, et que cet échange est certainement une bonne chose. C’est sans doute l’imminence de la fin qui crée en moi cette urgence de vivre si intensément, de m’imprégner de toutes ces couleurs, ces odeurs, et de me jeter corps et âme dans l’inconnu. De faire le plein de souvenirs que je pourrai rejouer sur mon magnétoscope une fois de retour au Québec.

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